INTERVIEW : Jérôme Montantème, directeur général de Fauchon l’Hôtel

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Dès son ouverture en 2018, Fauchon l’Hôtel fit figure d’hapax dans le paysage hôtelier haut de gamme parisien. La plus célèbre des épiceries fines à l’international avait décidé d’étendre son savoir-faire séculaire, promoteur de l’exception française, à l’art de l’accueil et de l’expérience globale. Par-delà sa décoration gourmande et son ambiance épicurienne, le concept fut réellement pensé pour ravir tous les sens.

Jérôme Montantème, son directeur général, spécialiste des Arts de la Table, est un grand passionné de l’accueil et du service. Après avoir œuvré dans quelques-uns des plus beaux 5 étoiles du sud de la France et avoir pris la direction de la Villa Florentine à Lyon, il devient directeur général des hôtels Tiara Yaktsa et Tiara Miramar Beach Hôtel & Spa à Théoule-sur-Mer jusqu’à sa prise de position chez Fauchon. Aujourd’hui, il revient pour Vendôm, entre autres, sur leur récente publication, Les Secrets du succès, un outil de management au service de la performance individuelle et collective, dont la réflexion est centrée sur l’expérience client.

Vendom.jobs - Nous sommes entrés dans une ère de réinvention de tous les secteurs du service. Comment l’abordez-vous ?

Jérôme Montantème – L’année passée nous a, malheureusement, prouvé que, contrairement à ce que l’on pensait, il n’y aura pas toujours du travail dans le milieu de l’hôtellerie et de la restauration. Cependant, il reste de belles opportunités à saisir et la crise nous a permis d’améliorer certains de nos protocoles, notamment sanitaires, d’accueil, d’accès, etc. Elle n’a donc pas été une période de dégradation, mais d’amélioration du niveau de service. Nous sommes, par exemple, allés encore plus loin dans la notion d’espace privé en demandant à nos clients si nous pouvions accéder à leur chambre et dans quelles conditions. Quand d’autres ont diminué leurs services – par exemple en vidant les « gourmet-bars » – nous avons renforcé chacun d’eux. Ainsi, nous avons décuplé notre protocole au niveau de l’accueil, avec une première prise en charge de nos hôtes au niveau de la réception suivie d’un accompagnement dans les étages. Pour nous, cette période a été une véritable opportunité d’aiguiser notre réflexion sur services.

V.J. - Votre publication, Les Secrets du succès, vise à apporter des réponses à ces nouvelles problématiques. Pourriez-vous nous en dire plus ?

J. M. -  Les Secret du succès est une retranscription intégrale de l’expérience client à travers trois exemples types - une famille avec enfants qui vient pour un voyage d’agrément ; un couple de Boston qui réserve pour une demande en mariage ; un homme d’affaires qui se déplace régulièrement et a ses habitudes - de la prise de réservation jusqu’au check-out et même après. Il s’agit donc, en effet, d’une vraie réponse à ces problématiques, puisque l’ouvrage est conçu pour évoluer. La page de droite est consacrée au scénario client et, en regard à gauche, nous avons les pop-ups de service - étude comportementale, analyse émotionnelle, etc. - qui peuvent être annotés selon les réflexions du collaborateur. L’idée est de retranscrire la capacité qu’a chaque artisan à créer une émotion forte à travers l’expérience client. On ne peut plus, aujourd’hui, se contenter du simple respect des SOP et des standards que nous soumettent différentes organisations pour créer l’enchantement client. Déclencher une émotion forte de la part du client n’est possible que grâce à un engagement fort des collaborateurs.

Pour cela, dès notre ouverture, nous avons imaginé, en collaboration avec Erik Perey, 5 valeurs « ACCRO », qui sont les suivantes :

A travers ces valeurs, nous avons créé des pop-ups de service qui sont de vraies attentions et servent de base à nos collaborateurs pour aller plus loin et rendre l’expérience client mémorable.

Il était également important d’écrire ce livre pour que chaque artisan, qu’il soit en back ou en front, comprenne l’importance de son travail, de son attitude, de ses actes qui seront à l’origine cette magie. 

V.J. Pourriez-vous développer le concept d’« excellence managériale »  ?

J. M. – Ce terme peut paraître quelque peu pompeux, mais plus qu’une notion figée, il recouvre l’objectif que l’on vise à atteindre et que l’on doit accompagner. Je reprends l’idée d’engagement collaborateur que je viens d’introduire. Nous considérons qu’il n’existe pas d’enchantement client s’il n’y a pas un engagement fort de la part de l’artisan, mais aussi son épanouissement. Les pop-ups de management, qui correspondent à nos valeurs ACCRO, sont ainsi organisés :

A partir de là, nous avons identifié, comment nous souhaitions accueillir nos collaborateurs, en commençant dès la rédaction de l’offre de poste puis le premier entretien du candidat, où nous l’accueillons comme un client, en lui faisant visiter l’hôtel et le mettant dans les meilleures conditions, car nous estimons que c’est nous qui avons quelque chose à lui vendre. Suite son entrée dans ses fonctions, nous avons établi une journée d’intégration menée par chaque manager de département afin de lui présenter les valeurs de la maison.  

Cette partie nous a donc permis de travailler sur l’animation des équipes par rapport aux messages que nous tendons à leur faire passer durant les briefings, afin de faire respecter et approfondir nos valeurs ACCRO ?

V.J. - Avez-vous déjà un recul sur ces méthodes ?

J. M. – Nous avons déjà un certain recul, mais pas encore de mesures précises. Nous savons qu’il est difficile de faire lire un livre à 75 collaborateurs. Pour rendre l’exercice plus agréable et ludique, nous avons mis en scène les sept chapitres dans sept capsules vidéo tournées dans différents lieux.  Nous avons également développé une application « Talent » qui permet au collaborateur de tester ses connaissances sur son téléphone. Nous rendons le management fun, en quelque sorte.

V.J. – Revenons un instant sur ce terme « artisans » pour désigner vos collaborateurs. Il résonne totalement dans le monde de la gastronomie et du luxe.

J. M. - Je l’utilise, car, pour moi, il renvoie à l’idée d’un savoir-faire et de valeurs fortes, telles que : sur-mesure, exception, etc.  Le savoir-faire des personnes d’accueil et de service a été trop longtemps sous-estimé. J’ai commencé ma carrière en salle et tous les concepts hôteliers que j’ai développés sont centrés autour de l’accueil et du service. S’il était facile d’être artisan du bonheur, tout le monde pourrait se lancer dans ces professions. Il n’en est rien. Elles demandent un véritable engagement, un savoir-être.  Je prends chaque jour des leçons de la part de mes collaborateurs des cuisines jusqu’au voiturier, en passant par les femmes de chambre. Chacun possède ses techniques et une attitude forte. Je pense que cela devrait être plus souligné, médiatiquement notamment. 

V.J. – A contrario, nous parlons de plus en plus de transversalité des fonctions et des tâches, qu’en pensez-vous ? Comment voyez-vous la transformation de ces métiers qui possèdent un savoir-faire pointu ?

J. M. - A partir du moment où l’on aime le service et que cela rejaillit sur l’expérience client, nous avons tous intérêt à faire preuve de polyvalence. Je pense que cette tendance existait déjà avant la crise, mais que cette dernière a joué un rôle de révélateur pour nous ramener à des valeurs plus simples, plus terre-à-terre. Nous tendons désormais à plus d’authenticité dans la relation professionnel-client. Même si l’on revient un peu en arrière, je pense que l’on ne perdra pas cette attention renforcée pour les autres, ces valeurs humaines. Nous avons toujours vibré pour cela chez Fauchon. Dès le départ, nous savions que nos valeurs ACCRO étaient fortes et la crise les a rendues encore plus présentes.

V.J. - En tant que manager, qu’elles sont les personnalités, de la profession ou non, qui vous ont inspiré ?

J. M. - Bernard Lambert m’a beaucoup guidé, inspiré. Jacques-Olivier Chauvin également lorsque nous avons fait l’ouverture de Fauchon l’Hôtel. J’ai été très inspiré par les grands patrons et aussi, curieusement, par certains hommes politiques. Non pour leur couleur politique, mais pour leur capacité de travail et leur engagement. Il n’existe pas de réussite, pas d’excellence sans un engagement sans faille. Ce fut mon optique pour Fauchon l’Hôtel, sans avoir la prétention de nous comparer aux grands hôtels historiques parisiens. Notre raison d’être est de pousser toujours plus loin l’expérience client, le service sur-mesure et la création de l’émotion.

V.J. - Comment définiriez-vous alors l’expérience de Fauchon l’Hôtel ? Son art de recevoir ?

J. M. - Quand je parle de service sur-mesure, d’enchantement client, je dois avouer que, finalement, nous avons tous les mêmes ambitions. Chez Fauchon, nous avons la chance de posséder une marque forte, un concept clair et bien défini : être le premier hôtel pour gourmets. Il n’est pas anodin que le plus renommé des épiciers de luxe ait ouvert un hôtel dans la capitale du pays de la gastronomie ! Le concept est simple, mais s’appuie sur une marque qui reflète la qualité, l’exceptionnalité des produits français, l’art de vivre à la française.  

Notre atout, et notre originalité, sont donc d’être orientés autour de l’expérience gourmet, en ayant une attention particulière pour notre clientèle féminine. Même si notre hôtel parle à tous, nous avons choisi de déposer des attentions plus particulières pour les femmes, par exemple dans la décoration, ou encore en disposant des accessoires beauté, etc. Nous sommes allés très loin dans le concept de gourmet au féminin.

V.J. - La période d’attente et d’incertitude que nous venons de passer, vous a-t-elle donné une nouvelle façon d’aborder votre profession ?

J. M. – Je ne pense pas réellement, elle a plutôt renforcé mes convictions en matière d’accueil, de service et de relation avec nos clients.  J’ai toujours été persuadé que nos hôtes demandent à construire une véritable relation qui va plus loin que le temps d’un séjour. Il faut être, pour résumer, « the right man at the right place at the right moment », c’est-à-dire qu’il faut être disponible et avoir envie de faire plaisir. Cela peut paraître évident, mais il faut oser poser la question : « Est-ce qu’il y a quelque chose que l’on pourrait faire pour rendre votre séjour encore plus agréable ».

Fauchon l’Hôtel*****

4 Boulevard Malesherbes

75008 Paris

+33 1 87 86 28 00

(Crédit photo : Fauchon l’Hôtel)

 

 

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