INTERVIEW : Alain Kropf, directeur général du Royal Savoy Lausanne

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De sa carrière forgée en Suisse et à l’international - au Montreux Palace (Director of Conference & Catering Services/F&B Manager), au Beach Rotana Hotel à Abu Dhabi (Executive Assistant Manager F&B/Resident Manager), au Khalidiya Palace Rayhaan by Rotana Hotel, à Abu Dhabi (General Manager) ainsi qu’au Shangri-la Jakarta (Hotel Manager) - Alain Kropf a rapporté une vision de l’hôtellerie basée sur le don et l’échange. Directeur général depuis 2014, il tisse un lien entre l’adresse historique et l'environnement du Royal Savoy Hotel & Spa Lausanne***** (Bürgenstock Selection). Alain Kropf pense l’hôtellerie de luxe de demain non plus comme le privilège de quelques-uns mais des lieux de vie, de transmission et de partage. En s’appuyant sur le cadre exceptionnel qu’offre le Royal Savoy, sa foi en sa profession d’hôtelier s’exprime en une ouverture qui ne sacrifie en rien l’excellence.

Vendom.jobs - La Suisse possède un véritable patrimoine de l’hôtellerie haut de gamme. Vous avez œuvré, au cours de votre carrière, dans des destinations de luxe plus récentes. Que vous ont apporté ces expériences concernant votre vision actuelle du secteur en Suisse ?

Alain Kropf - J’ai passé environ 20 ans à l’étranger. J’ai donc pu, en effet, bénéficier de perspectives et cultures différentes de l’exercice de l’hôtellerie. Je pense en avoir rapporté une vision différente de la façon dont on fait du service.  Par exemple en Asie, mais aussi dans les pays du Golfe, il existe un sens quasi inné de la notion d’ « être au service de ».

L’acte d’ « être au service de » est trop souvent perçu en Europe comme une forme de soumission alors qu’il s’agit d’une pratique tout à fait noble. Comme lorsque l’on reçoit des invités dans son foyer, on se met à leur service. Il convient donc de remettre en perspective, dans notre métier, ce que signifie profondément cette démarche. Les jeunes générations sont, en fait, particulièrement réceptives car elles envisagent l’aspect bénéfique de ce type de comportement. Il existe peu de métiers où l’on a la chance de recevoir 90% de feed-back positifs. Même s’il s’agit de professions exigeantes, qui demandent beaucoup d’écoute et un sens de la psychologie, il faut remettre cet aspect gratifiant sur le devant de la scène et créer un cercle vertueux.

V.J. - Quels sont les nouveaux challenges auxquels l’hôtellerie haut de gamme suisse pourrait être confrontée dans les prochaines années ?

A. K. – La tradition hôtelière suisse est très connue à l’international notamment parce que beaucoup de directeurs généraux viennent des écoles hôtelières suisses. Le marché américain, entre autres, nourrit une vision très positive de notre savoir-faire.

Je pense que notre problème le plus important est de trouver des investisseurs qui acceptent d’engager des fonds dans des bâtiments anciens qui coûtent cher. Là réside certainement notre plus gros challenge. Nous devrions repenser notre vision de l’hôtellerie de luxe et y imprimer plus d’agilité. Au Royal Savoy, nous nous sommes rendu compte que garder un minimum d’activité, rester ouvert pour un minimum de clients, requiert un personnel considérable.  Il faut donc que nous puissions alléger nos procédures. Le dernier défi à dépasser est de trouver la relève mais aussi donner envie aux gens de rester. Nos professions sont très exigeantes et souvent la contrepartie financière ne suit pas cette demande d’investissement personnel. Toute la branche serait à repenser. 

V.J. – Dans ce cas, comment rendre, selon vous, les métiers de l’hôtellerie de nouveau attractifs ?

A. K. – Je pense que les écoles devraient plus promouvoir la beauté du métier et moins l’aspect rétributif. D’autre part, nous, hôteliers, nous devons aussi repenser nos structures managériales encore beaucoup trop hiérarchisées. Les jeunes générations n’ont plus envie de cela. Elles ont besoin de trouver un sens et se sentir engagées dans ce qu’elles font. Notre mode de management doit donc devenir plus flexible. Nous travaillons actuellement en interne sur ces axes. Il est nécessaire de plus déléguer les responsabilités car les blocages viennent souvent de là. Aplanir la hiérarchie afin de laisser plus de place à la prise de décision et la responsabilisation individuelle.

V.J. – A quelles méthodes pensez-vous pour cerner et dénouer ces problèmes ?

A. K. – En ce moment, nous travaillons avec six étudiants en dernière année à l’Ecole Hôtelière de Lausanne. Leur « Student Business Projet » repose sur un sondage de nos collaborateurs afin d’analyser comment améliorer les conditions de travail et satisfaire nos employés. Différents axes ont alors été choisis, notamment le « work context design » - comment améliorer l’environnement, les outils de travail – et la communication. Sur ce dernier point, nous nous sommes rendu compte que la présence du DG est importante à toutes les étapes grâce à ses prérogatives fédératrices mais aussi son expérience qui permet de délier des situations en apparence simples.  

V.J. – Quels sont les avantages que vous offrez à vos collaborateurs ? Comment les accompagnez-vous ?

A. K. – Nous sommes en train de mettre en place des formations personnalisées pour nos 180 employés. Pour le moment, il n’existe pas encore de processus intégré commun aux cinq adresses du groupe mais nous essayons de voir comment nous pourrions centraliser et partager les procédés. Concernant le Royal Savoy, nous nous appuyons sur les chefs de service pour établir les diagnostiques, identifier les manques et nous permettre d’y pallier. Nous sommes, pour le moment, toujours dans une façon de procéder agile. 

V.J. – Quels conseils pourriez-vous donner à des jeunes gens qui souhaitent se diriger vers les métiers de l’hôtellerie et la restauration de luxe, en matière de formation, de stratégie, d’attitude ?

A. K. – Je dis souvent que les jeunes, aujourd’hui, sont plus mûrs, plus intelligents que nos générations. Cependant, nous évoluons dans des sociétés où tout va très vite et ils ont le désir d’adapter leur carrière à cette dynamique et de gravir rapidement les échelons. Je pense que c’est une erreur. Les carrières sont très longues et notre métier est avant tout pratique. Je conseillerais de ne pas prendre de responsabilités durant les trois premières années de leur carrière afin qu’ils prennent le temps de passer par tous les services, d’observer et d’apprendre. Les responsabilités sont sources de pression, de stress et ne permettent pas d’être réceptif et d’évoluer. Le terrain est le plus important pour acquérir l’expérience et les ressources nécessaires aux postes à responsabilités.

V.J. – Quel est votre positionnement par rapport aux frontaliers ?

A. K. – Parmi nos 180 collaborateurs, la grande majorité est française – vivant en Suisse ou frontaliers – 20 sont Suisses. Viennent ensuite nos collaborateurs Portugais, d’autres pays européens sont également représentés. 

V.J. – En tant que directeur général possédez-vous une devise ? Si oui, laquelle ?

A. K. – Je ne dirai pas réellement une devise mais plus un credo. Je dis souvent à mes collaborateurs que nous devons, dans la mesure du possible, essayer de réaliser qu’un client est avant tout un individu qui arrive avec son histoire. Dans les temps courts avec lesquels nous interagissons avec eux, nous devons nous efforcer d’appréhender leur complexité.  Je mets un point d’honneur à faire comprendre aux personnes avec lesquelles je travaille que nous ne sommes pas là pour louer des chambres ou des espaces de travail. Là ne se situe pas le cœur de notre métier. Notre profession repose sur les personnes, l’humain, c’est ce que nous devons mettre en avant. Il est même, en fait, notre business model. Les gens ne doivent pas venir chez nous seulement pour boire un verre ou passer la nuit. Nous travaillons actuellement sur ce positionnement. Je souhaite que nous intégrions l’hôtel dans la vie de la communauté qui nous entoure. Mon objectif est que les gens viennent pour vivre dans l’environnement du Royal Savoy, même si ce n’est que pendant deux heures pour travailler, qu’ils envisagent l’hôtel comme un point de repère, un lieu de vie à part entière.

V.J. – Quelle est votre définition de l’expérience client au Royal Savoy Hotel & Spa ?

A. K. – Le sens de l’accueil bien sûr ! La plus large part des retours que nous recevons de nos clients soulignent la gentillesse, la chaleur et la disponibilité de nos collaborateurs. C’est ce que je souhaitais obtenir à mon arrivée au Royal Savoy, que les gens s’y sentent bien et que nous apprenions à connaître leurs habitudes. Tout cela passe par un sourire, des attentions, des mots gentils…

V.J. – Avez-vous intégré dans votre relation client des systèmes d’exploitation numérique des données tels que les CRM ?

A. K. – A vrai dire, nous le faisons de façon ponctuelle pour des habitués ou des gens qui viennent pour la première fois, des Suisses ou des étrangers, mais il serait difficile de le faire pour les 50 000 personnes que nous accueillons chaque année. Nous misons avant tout sur l’échange. Ainsi, mon assistante remplit également le rôle de Quality Manager et appelle en amont de leur séjour les clients pour se présenter comme leur interlocutrice privilégiée. Nous nous appuyons également sur les services de réservation en ligne pour nous renseigner sur les souhaits de nos hôtes. Nous proposons, suite au séjour, un questionnaire dont les feed-back personnalisés nous permettent d’affiner nos pratiques.  

Le graal de l’hôtelier est, bien sûr, de rencontrer et interagir personnellement avec chaque client, ce qui est difficile dans un hôtel de près de 200 chambres et suites. Nous pallions ce manque également grâce aux données que nous fournissent les réseaux sociaux, que nous analysons afin d’avoir une meilleure connaissance pratique de nos hôtes.

V.J. – Pourriez-vous nous parler des prochains développements auxquels vous pensez pour le Royal Savoy ?

A. K. – Je ne peux pas encore trop m’avancer sur les prochains développements car nous sommes toujours en phase de réflexion mais nous sommes ravis d’accueillir, depuis notre réouverture en juin, un nouveau jeune et talentueux chef, Thomas Vételé. Passé par les cuisines d’Alain Ducasse, Christophe Raoux, ou encore Jean Maximin, il est d’origine bretonne et est donc très concerné et informé sur les actuels enjeux du « bien-manger » et de la préservation de nos écosystèmes. Il prône une cuisine simple, d’inspiration méditerranéenne, et ses créations résonnent parfaitement avec la vision que nous avons de la gastronomie au Royal Savoy et avec ce que nos hôtes recherchent.

Plus largement, mon souhait est que le Royal Savoy, dans l’esprit des gens et surtout des locaux, ne soit plus seulement une marque associée à boire, manger, se rencontrer, mais qu’elle soit intégrée à d’autres aspects de la vie sociale, la culture par exemple – grâce à des expositions -, la vie professionnelle - en ayant la possibilité de louer une chambre, une table commune, etc. Le Royal Savoy doit tendre à signifier plus que ce que notre activité suggère. Nous possédons aussi de superbes jardins dont nous souhaiterions faire profiter les gens de l’extérieur, des écoles par exemple. J’ai envie d’ouvrir l’hôtel à la vie locale car les gens n’osent pas. Il faut désacraliser ces grands lieux. Les gens ont souvent l’impression d’un patrimoine figé, difficilement abordable ou réservé à une élite. J’apprécie de moins en moins une hôtellerie de luxe coincée dans son image inaccessible et je pense que nous possédons à Lausanne une formidable opportunité de pouvoir tenter cette expérience d’ouverture.  

Hôtel Royal Savoy Lausanne*****

Avenue d'Ouchy 40

1006 Lausanne, Suisse

+41 21 614 88 88

https://www.royalsavoy.ch/fr

(Credit photo : Royal Savoy Lausanne/1-©Robert Miller; 2-4 ©Reto Güntli)

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