10/06/2020

INTERVIEW : Sébastien Ripari, Le Bureau d'Etude Gastronomique

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La gastronomie dans la peau, voici comment l’on pourrait certainement résumer la carrière de Sébastien Ripari. Touche-à-tout – mais doté de tous les talents – cet inextinguible curieux est depuis plus de 25 ans le conseiller, l’acolyte, privilégié des grands chefs. D’une main de maître, il déroule les projets les plus audacieux, les évènements qui feront la gastronomie de demain au sein de son Bureau d’Etude Gastronomique. Dernier en date, le projet solidaire French Kitchen Festival, créé en collaboration avec Prebook. Il se tiendra les 16 et 17 septembre prochains. Cette plateforme de réservation en ligne propose des dîners chez les plus grands chefs français à préréserver afin de les soutenir en ces temps critiques pour la restauration.

Initiateur de Street Food en Mouvement, il a lancé en ce début d’année le projet Chefs4ThePlanet, immense réseau international des acteurs de la gastronomie – du producteur à l’amateur - visant à promouvoir et développer la gastronomie durable. A une époque où bien manger signifie plus que jamais bien vivre, il a accepté d’accorder une délicieuse interview à vendom.jobs. Sébastien Ripari nous parle de la cuisine comme d’un langage universel qui fait se rencontrer les personnes et s’ouvrir les horizons.

Christian Le Squer (le Cinq***, Four Seasons George V Paris) et Sébastien Ripari

Vendom.jobs - Comment est née l’idée de créer Le Bureau d’Etude Gastronomique ?

Sébastien Ripari - Il n’y a pas réellement eu d’avant ou d’après. J’évolue depuis plus de 25 ans dans un univers qui m’a toujours fasciné. J’ai toujours été porté par le monde de la cuisine. Elle est, pour moi, un immense acte d’amour. Je peux côtoyer des personnes qui en nourrissent d’autres grâce à des techniques et des produits de qualité intelligemment travaillés. Et, pour moi, ce talent relève de l’art.

En allant manger chez des chefs, j’ai ainsi remarqué qu’ils avaient régulièrement des questionnements sur le positionnement de leur restaurant et, plus particulièrement, ils n’arrivaient pas tous à envisager l’expérience client dans sa globalité. En tant que client et observateur, j’étais capable de leur suggérer ce qu’il pouvait manquer au niveau de l’environnement, la décoration, etc. Mes conseils étaient au départ strictement amicaux mais, disposant d’un grand carnet d’adresses de chefs français et étrangers qui faisaient régulièrement appel à mes services, j’ai décidé de professionnaliser cette activité. Ainsi, Le Bureau d’Etude Gastronomique est devenu un service à 360° destiné à répondre précisément aux questions des chefs qui, à cette époque encore, se consacraient à 90% à leur cuisine. Le métier a évolué et, aujourd’hui pour beaucoup, 30% de leur temps est consacré à la cuisine, 30% à la communication, 30% à la comptabilité et 10% c’est ce que j’appelle le « décorum », vous êtes le fils de, vous avez un nom connu…. C’est ce que je nomme le travail sur les 3C. Je devais donc leur apporter des solutions précises pour qu’ils arrivent à cet équilibre : posséder un beau lieu, avoir un business sain et une expérience client satisfaisante. Je fus ainsi le premier, il y a près de 25 ans, à inviter les chefs chez eux à manger pour qu’ils se retrouvent dans la position du client. Nous avons commencé à analyser l’environnement : la façon dont les plats sont apportés, la lumière, l’environnement sonore, le cheminement depuis l’entrée jusqu’à la salle… Je leur ai apporté une réflexion plus tournée vers l’expérience client.

Andoni Luis Aduriz (Mugaritz**, Errenteria), Sébastien Ripari et Albert Adrià (Tickets*, Barcelone) 

V.J. - Comment définiriez-vous la profession que vous avez contribué à créer « consultant culinaire » ? Quelles sont pour vous les principales qualités à développer pour se lancer dans cette profession ?

S. R. – Je pourrais difficilement la définir car Le Bureau d’Etude Gastronomique n’entre pas dans une case prédéfinie mais, au contraire, adapte sa réponse à la problématique du chef. On peut toujours parler de consulting, en effet, car j’interviens en tant qu’élément extérieur mais sur l’ensemble des problématiques inhérentes à une adresse, de l’audit à 360° à l’ouverture, de l’idée couchée sur le papier au premier service. Parfois, il s’agit seulement d’un repositionnement, conserver ses lettres de noblesse, aller chercher une autre étoile ou encore se renseigner sur les tendances culinaires à l’international.

V.J. - Comment avez-vous développé, au cours de votre carrière, les différentes casquettes qui vous sont nécessaires pour interagir avec des professions aussi différentes que communicants, juristes, chefs, architectes, etc. ?

S. R. – Je suis d’une curiosité maladive ! Je m’intéresse à tout. Pour moi, il n’existe pas de sot métier, tous sont d’égale importance. L’idée est d’arriver peu à peu à avoir une vision globale de la communication à l’assiette. Je m’entoure aussi de professionnels qui apportent leur expertise et des connaissances plus affinées, même si je coordonne tout le projet.

Ma force est donc cette vision globale de tout ce qui fait un restaurant. De pouvoir prendre le recul nécessaire pour analyser tous les points en fonction des attentes. On audite de façon totalement différente un restaurant à Paris ou en province. Il est indispensable d’effectuer un benchmark afin d’étudier de façon globale le positionnement de l’offre et ce qu’il en ressort – pourquoi les gens viennent moins, consomment moins, etc. - afin de l’analyser avec mes équipes et proposer des solutions sur mesure. Et surtout oublier ses goûts personnels et son égo !

Fanny Rey (Fanny Rey & Jonathan Wahid*, Saint-Rémy-de-Provence) et Sébastien Ripari

V.J. – Comment inculquez-vous ce positionnement dans vos formations ? Comment fait-on passer ce savoir-faire ?

S. R. – Je pense que cela ne s’inculque pas mais s’apprend par l’expérience. On ne peut enseigner l’expérience. On peut donner, par son désir de partager, une énergie qui donne alors envie à l’autre de vivre sa propre expérience.

Il y a quelques années, lors de master classes pour les bachelor de dernière année à l’école Ferrandi, j’ai rencontré des jeunes gens qui, pour certains, avaient un plan de carrière déjà bien tracé. Je leur disais que c’était une erreur, qu’une fois leur diplôme obtenu, ils devaient profiter de leurs années de jeunesse pour voyager, découvrir et s’amuser ! On revient alors plus expérimenté de ce vécu et plus apte à envisager intelligemment une stratégie de carrière.

Pour exemple, j’avais rencontré, par l’intermédiaire d’Yves Camdeborde, que j’avais placé dans un Palace de Megève, un jeune directeur de salle de 25 ans qui avait suivi mes master classes. Il m’a dit que j’avais changé sa vision du métier et qu’il avait voyagé. La cuisine est un acte d’amour et de générosité. Mieux on se connaît, mieux on sera à-même de bien réaliser son travail. D’ailleurs, depuis quelques années, la formation professionnelle revient en force et notamment en matière de réorientation de carrière. Les gens ont besoin de retrouver un sens dans ce qu’ils produisent, de revenir aux essentiels et de s’amuser dans ce qu’ils font.

On expérimente et on apprend sans cesse. Il y a quelques années, le chef René Redzepi du Noma à Coppenhague m’a appelé pour m’inviter à venir le voir et dîner chez lui. De par cette expérience unique et de mes échanges avec lui, j’ai découvert une autre façon de faire le service très loin du service à la française. J’ai trouvé sa façon de l’aborder moderne et en adéquation avec notre époque. Cela m’a apporté une nouvelle vision, de nouvelles idées dont je pourrai me servir dans mes futurs projets.

V.J. – Quel est le concept dont vous êtes l’auteur qui vous a semblé le plus fou et – peut-être aussi – dont l’aboutissement a été le plus satisfaisant ?

S. R. – Heureusement beaucoup, en restauration comme en hôtellerie. Je me souviens d’un en particulier qui semblait être une gageure, une idée folle de la part de ses créateurs : la table de La Belle-Iloise. Il s’agissait de créer, à Nantes, un concept de restaurant proposant leurs conserves sublimées en plats. L’idée n’était alors que sur le papier... Il convenait donc d’imaginer à partir d’un produit de niche - uniquement du poisson qui est un produit extrêmement segmentant - une proposition culinaire qui soit des créations tout en retrouvant la saveur des produits en conserve. Cela fut extrêmement complexe mais je les ai aidés à créer le lieu, recruter le personnel, imaginer les recettes, former le chef et lancer la communication. Ce fut un projet passionnant et un succès puisque cette adresse existe toujours ! Grâce aux produits de qualité de La Belle-Iloise, nous avons pu créer une carte qui change dans un lieu atypique, entre bistrot et expérience unique.

Dans les cuisines de Dominique Gauthier (Le Chat-Botté*, Beau-Rivage Genève)

V.J. – Beaucoup de chefs s’engagent naturellement dans des projets à visée altruiste. On les voit se multiplier en ce moment de façon spontanée. Quels pourraient être ceux de demain ?

S. R. – Il y a toujours eu des chefs engagés et il y en aura toujours. Des initiatives altruistes seront toujours imaginées de leur part. La force des chefs est leur envie de transmission de leur savoir. La seule différence entre eux est que certains communiquent dessus, d’autres non.

Nous vivons actuellement une transformation que j’avais analysée il y a quelques temps. Depuis un an, je réfléchissais à un projet que j’ai débuté en janvier dernier : « Chefs4thePlanet » qui regroupe déjà plus de 65 chefs ! Notre objectif avec Anne Le More et nos équipes est de défendre les valeurs de la nouvelle gastronomie : la saisonnalité, la traçabilité, le locavore et d’aller même encore plus loin. Ces notions sont désormais bien ancrées dans l’esprit des chefs, ce n’était pas le cas il y a 25 ans. Grâce à ces tendances, slow food, nous sommes devenus aussi plus tolérants envers les gens qui ne consomment pas certains produits, pour des raisons de santé ou idéologique. Les végétariens ont désormais accès à de vrais créations gastronomiques, par exemple, ce qui est vraiment positif !

Les initiatives, collectives ou personnelles, se multiplient car l’on se rend compte de l’importance sociétale et sanitaire de la cuisine. Nous pensons désormais aux générations futures, à la sauvegarde de la planète, à la nécessité de bien manger car tout est lié. Dans les hôpitaux, les écoles, les chefs d’établissement se tournent de plus en plus vers des produits sains pour quasiment les mêmes coûts que l’industriel car l’on sait que l’on ne soigne pas, on n’éduque pas grâce à des produits ultra transformés.

V.J. – De cette prise de conscience, quelles sont les nouvelles tendances en matière culinaire que vous voyez venir ?

S. R. – La génération Y, qui crée des chefs aujourd’hui, a pris conscience des enjeux qui s’engageaient. Je pense que ce changement bénéfique de cap sera renforcé par la crise que nous vivons. Nous avons pris conscience que nous sommes responsables de l’environnement dans lequel nous vivons et que nous n’en sommes qu’un élément constituant. Agir en citoyen implique dorénavant de se sentir responsable. Cette prise de conscience se retrouve aussi bien chez les consommateurs que les producteurs. Actuellement, le plus gros problème est la grande distribution qui doit aussi enseigner à ses clients la consommation comme un acte solidaire, positif.

Cette tendance qui a émergé récemment et que l’on considère encore comme réservée à une élite deviendra une obligation de consommation.  La fourchette est une arme ! Nous en revenons à la responsabilité individuelle. Les gens doivent prendre connaissance de la réalité des produits : les modes d’élevage, le cycle de la nature, … Nous devons retrouver cette notion d’effort, d’attente. Ne plus s’attendre à avoir ce qu’on veut quand on le désire, savoir à nouveau se priver. L’attente des premières tomates, des premières cerises a quelque chose de merveilleux ! Nous devons repenser notre temporalité en adéquation avec les rythmes naturels. Notre problème est moins le coût que le temps que l’on accepte d’accorder à la recherche du produit, à comment le cuisiner mais aussi à s’informer notamment sur les méthodes d’élevage dans une époque de prise de conscience de la souffrance animale.

Guillaume Sanchez (NE/SO*, Paris), Pierre Jancou, Sébastien Ripari et Cyril Lignac

J’ai toujours été fasciné par le temps. La cuisine, c’est du temps et de l’amour. L’industrie agro-alimentaire nous a convaincus que la cuisine pouvait être quelque chose de rapide, avec de mauvais produits qui font illusion. Aujourd’hui, elle rebondit sur les nouvelles tendances éco-responsables. Mais la cuisine est aussi un acte de partage, de connexion sociale. On se marie autour d’une table, on fête un anniversaire, on pleure un proche… On en revient là au rôle des chefs dans cette prise de conscience. 99% d’entre eux aujourd’hui ont appris, ont découvert leur passion dans la cuisine de leur mère, de leur grand-mère. De plus en plus de gens reviennent à ces pratiques : préparer le dimanche les plats de la semaine.

V.J. – Quel est le patrimoine culinaire qui vous attire, vous intéresse le plus ?

S. R. – J’aime toutes les cuisines. La cuisine nous permet de découvrir le monde, les populations, leur identité, les cultures. Elle relève presque de l’ethnologie. Des villes culinairement fascinantes, telles que Londres ou New York, sont marquées par les migrants qui y ont élu domicile. Ils ont fui souvent avec juste une petite valise et les recettes et traditions culinaires de leurs villages. Ces mêmes traditions culinaires ont pu, localement, fusionner avec d’autres.

Je nourris, ceci dit, une grande passion pour les cuisines du bassin méditerranéen : libanaise, grecque, israélienne… car elles touchent ma sensibilité. J’apprécie plus les produits du Sud que ceux du Nord. J’aime également beaucoup la perfection de la cuisine française, italienne ou japonaise, notamment dans ses techniques pour la dernière. Etant né en Suisse, je me tourne aussi plus volontiers vers les fromages suisses. La fondue suisse (bien sûr) est ma madeleine de Proust.

V.J. – Quels territoires souhaiteriez-vous encore explorer en matière de gastronomie ?

S. R. – Dans les nouvelles tendances que je vois émerger, je pense que les cuisines africaines sont à découvrir et sont beaucoup plus variées et subtiles que l’on a l’habitude de le penser car il s’agit, de Tanger au Cap, d’un territoire immense fait d’une multitude inouïe de paysages...  Nos connaissances sont encore assez limitées. J’ai l’habitude de dire qu’il existe différents types de cuisines à travers le monde : celle que l’on connaît ; celle que l’on peut imaginer (dont on peut citer plusieurs plats) ; la cuisine cliché (que l’on résume à deux ou trois plats) et la cuisine inconnue, celle que l’on ne maîtrise pas. Je pense aussi aux cuisines bulgare, péruvienne, etc. Actuellement, de grands chefs comme mes copains Vladimir Mukhin ou Virgilio Martinez sont en train de nous en ouvrir les portes.

Gault & Millau 2017

https://www.lebureaudetude.com/

https://www.frenchkitchenfestival.com/

https://www.chefs4theplanet.com/

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