INTERVIEW : Lars Wagner, directeur général du Beau-Rivage Genève

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Voici plus d’un siècle et demi que l’élégante silhouette du Beau-Rivage Genève règne sur la cité suisse. Refuge des têtes couronnées, son atmosphère, toute de dorures, de volume harmonieux et de riches tapisseries, a su maintenir ce patrimoine exceptionnel à travers les âges grâce à la vision d’une famille. Une nouvelle ère semble s’être ouverte avec l’accueil de Lars Wagner à sa direction. Avec ses trois décennies d’expérience au sein des groupes hôteliers les plus prestigieux (Hyatt, Four Seasons, Mandarin Oriental), il imprime à l’emblématique adresse genevoise une vision portant l’exemplarité et l’ouverture d’esprit du leader à son paroxysme. Sans oublier, une créativité féconde matinée d’un humour salutaire en ces temps encore incertains.

Suite Wagner

Vendom.jobs - Après avoir travaillé dans de prestigieux groupes internationaux, pourquoi avoir choisi un hôtel indépendant emblématique tel que le Beau-Rivage Genève ?

Lars Wagner – En effet, c’est la première fois que je travaille pour un hôtel indépendant et j’adore cela, notamment la rapidité des prises de décision. Comme l’évoque mon parcours, j’aime voyager, relever des défis, comme celui de partir de zéro quelque part pour asseoir sa crédibilité. Je suis désormais arrivé à un âge où, ma famille et moi avons décidé de s’établir durablement quelque part. Il y a deux ans, l’opportunité s’est présentée lorsque la famille Mayer – les précédents propriétaires du Beau-Rivage – m’ont contacté pour diriger l’hôtel. L’histoire du Beau-Rivage est très particulière, car cinq générations de la même famille se sont succédé à sa tête, l’hôtel n’a connu que deux directeurs extérieurs. Je pense que j’ai été choisi car je connais profondément le marché local. Ayant un carnet d’adresses bien rempli, j’étais en mesure de développer la société. Et nous étions très satisfaits des résultats, jusqu’à l’arrivé de la crise.

V.J. - A l’heure où nous vivons encore des périodes incertaines, quel est, pour vous, le plus gros défit à relever pour un tel établissement ?

L. W. – Le principal défi qui s’est imposé fut de garder le contact avec nos clients, bien sûr, mais aussi avec nos collègues. Comme l’on dit : « Loin des yeux, loin du cœur. » Or, nous ne pouvons voir qu’environ 25 % de nos effectifs chaque jour. Du côté de nos hôtes, il est facile d’être vite oublié. D’un autre côté, nous avons pu observer un changement considérable de la typologie de nos clients. Avant la crise, 15 % de notre clientèle était locale, nous sommes arrivés à 60 %, pour les raisons que nous connaissons inhérentes aux restrictions de déplacement.

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V.J. – La clientèle se révèle de plus en plus intéressée par l’éco-responsabilité. Comment un établissement urbain plus que centenaire peut actuellement répondre à cette prise de conscience ?

L. W. – J’aime à dire que je vois le Beau-Rivage comme une « vieille grande dame », mais qui n’a cessé d’apprendre et de s’adapter aux attentes de ses clients durant ses cinq générations d’histoire. L’éco-responsabilité est, bien entendu, ce que les clients recherchent actuellement. Toutefois, demain ils pourront avoir d’autres envies, d’autres valeurs et de nouvelles priorités. S’adapter aux attentes de nos hôtes est un processus naturel et continu. En cela notre chef exécutif, Dominique Gauthier, fait un travail remarquable.

V.J. - Quelle est votre définition du leader ? Un mentor ? Un visionnaire ? etc.

L. W. – Je distinguerai, dans un premier temps, ces concepts. Pour avoir été, de maintes fois, mentor durant ma carrière, je dirai qu’il s’agit d’un conseiller personnel de votre vie professionnelle. Un mentor doit toujours être disponible, il doit assister les prises de décision, mais aussi guider le mentoré dans l’évolution de sa carrière. Et c’est exactement ce que j’aime particulièrement, voir mes collaborateurs évoluer, c’est particulièrement gratifiant. Ayant été moi-même mentoré, je trouve qu’il est normal, lorsque vous avez atteint un certain niveau d’expérience professionnelle, de rendre le temps et les conseils que l’on vous a prodigués. Donner en retour est très gratifiant.

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Concernant la différence entre leader et manager, l’un n’est pas nécessairement l’autre, et inversement. Le leader est celui qui est au gouvernail, il est le commandant qui agit pour l’ensemble. Comme le disent les anglophones : « There is no I in team. » L’égo ne peut primer. Ma philosophie personnelle est un leadership dédié, participatif, enclin à prendre les décisions collectivement. Bien entendu, dans ma position, je suis naturellement le dernier à trancher, mais le processus de décision reste le fruit d’une réflexion collective.

La question de la vision du leader est également centrale. Sans avoir une vision claire, qui doit être comprise et suivie par vos collaborateurs, vous ne pouvez diriger. Celle-ci doit être établie très tôt, afin de pouvoir la revoir, la remodeler et l’améliorer encore et encore.

V.J. - Vous avez dit avoir connu le mentorat durant votre carrière, pourriez-vous nous en dire plus ?

L. W. – En effet, j’eus, au début de ma carrière, deux principaux mentors. J’avais l’habitude de les contacter lorsqu’il me venait l’opportunité d’accéder à une nouvelle position, ou quand je devais prendre une décision, en cas de résolution des conflits également. Le mentor doit être une personnalité inspirante. Tout dirigeant en début de carrière devrait se doter d’un mentor. Pour ma part, je pourrai en citer deux principaux. D’une part mon père, car il a également poursuivi sa carrière dans le domaine de l’hôtellerie. Le second, que je ne nommerai pas, est un directeur général pour lequel j’ai travaillé au début de ma carrière. Pour moi, un mentor est la personne qui a traversé et connu les mêmes épreuves et expériences que vous traversez et qui vous guidera.

V.J. - Les ressources humaines tendent à évoluer. Quelle seront,  selon vous, les prochaines étapes décisives pour le recrutement ?

L. W. – Un bon service de ressources humaines est, à mon sens, la clef de la réussite d’une adresse. Au fil des années, leur vision a évolué, s’est adaptée. Désormais – et je suis particulièrement sensible à ces points -, nous envisageons l’attitude du candidat, son sourire, son langage corporel, mais aussi sa volonté de travailler dans un domaine très exigeant comme l’hôtellerie haut de gamme.

Pour moi, ce qui fait un bon service, et un employé modèle, est sa capacité à se connecter à son interlocuteur, notre hôte. L’intelligence émotionnelle est centrale, l’empathie. Lorsque l’on examine les critiques sur des plateformes de réservation, on s’aperçoit que 80 % des commentaires concernent la relation avec les équipes, non la décoration, la beauté de la salle de bain, etc. Le cocktail du succès est, je dirai : une conversation simple et intelligente, une attitude ouverte et l’émotion.

Suite La résidence impériale

V.J. - Que souhaitez-vous inculquer à vos collaborateurs ?

L. W. – Je pense qu’il est important d’être naturel afin que nos collaborateurs soient à l’aise, eux-mêmes. Ils doivent comprendre qu’il est permis de faire des erreurs, que l’échec est une opportunité non seulement pour progresser, mais aussi pour exceller encore plus.

Mon rôle est également de leur enseigner la culture interne de l’entreprise, elle est une condition sine qua non à la fluidité de nos services. Comme c’est à moi que revient la décision finale d’accueillir un nouvel employé, je m’assure qu’il comprend l’esprit de la maison.

V.J. - Comment inculquez-vous cet esprit ?

L. W. – Par l’exemplarité que doit incarner le leader. Nous revenons à l’idée dont nous parlions plus haut, le leadership, c’est montrer l’exemple, respirer les valeurs de la maison.

V.J. - Quelle pourraient être ces valeurs au Beau-Rivage Genève ?

L. W. – Bien, il m’est facile de répondre à cette question, nous avons ce que nous appelons notre « wall of values » auquel nous nous reportons continuellement. Il s’agit de cinq piliers : être soi-même (l’attitude), agir ensemble (le collectif), le respect, l’innovation et l’excellence.

V.J. - Vous avez été précurseur, notamment au sein du groupe Mandarin Oriental, de nouveautés (visite virtuelle, guide de la ville, etc.). L’innovation est-elle toujours votre moteur ?

L. W. –  En effet, je suis un fervent partisan de l’innovation, j’aime pousser les limites. Pour moi, c’est ce qui permet à une adresse de se distinguer. La créativité est un moteur central de ma carrière. Nous parlions de mes fonctions pour le Mandarin Oriental, j’ai fait, par exemple, construire un chalet sur le toit de l’hôtel à Munich. A Genève, j’en avais fait aménager un dans le restaurant même. Au Beau-Rivage, nous avons décidé d’occuper la terrasse qui ne servait pas en hiver pour créer un « Après-Ski Lounge ».

Toutes ces idées sont issues de l’atmosphère d’émulation créative qui règne au sein de nos équipes. Nous aimons échanger, nos collaborateurs sont force de proposition. Ainsi, pour faire honneur à l’histoire de l’hôtel, qui fut la résidence de l’impératrice d’Autriche, nous avons imaginé, en collaboration avec le café viennois Sacher, un « Sissi Afternoon Tea ».

J’aime être le premier, j’ai ainsi pensé installer le Nordaq Water System. En cela, mon modèle est Jean-Claude Biver, que je cite, de mémoire : « Il faut que vous soyez unique, le premier et différent des autres ». J’en ai fait mon credo.

V.J. - Avec des offres culinaires toujours ludiques et des programmes santé novateurs, le Beau-Rivage Genève offre un formidable panel d’activités souvent en avance sur l’air du temps. Pourriez-vous nous confier certains de vos prochains projets ?

L. W. –  Vous comprendrez que je ne peux vous dévoiler ce qui n’est pas encore rendu public… Toutefois, nous parlions de l’engagement de nos collaborateurs dans l’innovation, le chef Dominique Gauthier est pour moi un formidable partenaire de réflexion. Je l’ai d’ailleurs promu depuis un an de chef exécutif à directeur culinaire et du service. Nous nous amusons beaucoup à imaginer de nouvelles expériences. Ainsi, dans la morosité ambiante, nous avons décidé de lancer le « Fondue Therapy Package », un véritable réconfort qui a été très apprécié des locaux.

Le Chat-Botté *

V.J. - Si vous aviez un vœu à formuler pour le proche futur de votre profession d’hôtelier haut de gamme, quel serait-il ?

L. W. –  Je souhaite que nous retrouvions très vite l’excitation de l’accueil du public, cette belle énergie, cette vibration. Bien entendu, il n’y aura pas de retour strict à la vie que nous vivions avant. Le monde entier a dû se « réinitialiser ». C’est à nous, leaders, professionnels du service, du luxe, à inventer les paradigmes qui seront en adéquation avec nos nouveaux modes de vie.

V.J. – Alors, comment envisagez-vous les mois à venir ?

L. W. –  Mon analyse est celle-ci. Nous allons, bien sûr, encore souffrir des restrictions durant les 18 prochains mois, notamment pour l’accueil des groupes, car toutes les décisions sont prises quasiment au jour le jour, en fonction de l’état sanitaire. Concernant la segmentation business de notre marché, les corporates ont pu se rendre compte que le télétravail fonctionne, que l’époque des grands voyages luxueux à l’autre bout du monde est révolue, sauf en cas de nécessité de se rencontrer en personne.

Finalement, je pense que les séjours de loisirs seront les grands gagnants, car, dès que cela sera possible, les gens auront hâte de pouvoir se déplacer à nouveau (on peut le voir avec ce qui se passe à Dubaï). Là, notre travail d’hôtelier tient une véritable opportunité d’évoluer. Je crois que l’expérience à la fois globale et locale sera la clef de notre développement pour arriver à de nouveau surprendre, ravir nos hôtes. Je dois dire que je suis, moi-même, un grand consommateur d’expériences locales lorsque je me déplace, j’aime vivre comme les locaux le font.

Beau-Rivage Genève

Quai du Mont-Blanc 13

1201 Genève, Suisse

+41 22 716 66 66

(Crédit photo : Beau-Rivage Genève)

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