04/12/2019

INTERVIEW : Matthias Meynard, Chef Sommelier du Shangri-La Hotel, Paris

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Créer l’alchimie parfaite entre le met, le vin et l’instant, une tâche qui semble relever de la magie ou plutôt d’une science aboutie que Matthias Meynard, Chef Sommelier du Shangri-La Hotel, Paris, a aiguisé au fil des années auprès de David Biraud et d’Antoine Pétrus, au Crillon puis au Restaurant Lasserre, mais aussi auprès d’Estelle Touzet, au Meurice. Responsable des trois tables, dont L’Abeille**, du fabuleux palace parisien et désormais seul maître de ses caves, il parle de sa discipline comme d’un acte de passion mais aussi de transmission. Le vin incarne pour lui une mémoire locale collective, celle d’un terroir, d’une région, mais aussi un patrimoine historique commun à travers les millésimes de légende qui passent les siècles et relient les générations.

©Roméo Balancourt

Vendom.jobs - Pourquoi avoir choisi la sommellerie ?

Matthias Meynard - La gastronomie est l’une de mes passions depuis toujours. Je suis issu d’une famille d’origine italienne. Nous avions l’habitude des déjeuners et des dîners vivants et conviviaux. J’aime manger et j’ai toujours été curieux des produits.

Pendant mon cursus en école hôtelière, j’ai fait des rencontres qui m’ont amené à la sommellerie en approfondissant ma connaissance du vin et des vignobles. C’est ainsi mon professeur en restauration, Jean-Luc Frusetta, qui m’a incité à m’engager dans cette mention complémentaire où j’ai suivi l’enseignement de Franck Ramage qui est désormais un ami.

V.J. - Comment se déroule la journée type d’un Chef Sommelier dans un restaurant étoilé de Palace ?

M. M. - J’arrive en général en fin de matinée, les équipes sont déjà présentes. Je leur adresse un bonjour, ce qui me permet de prendre le pouls de l’activité de l’hôtel en quelque sorte. Je participe ensuite à la réunion matinale retraçant la journée. Nous y parlons du nombre de clients, de leurs spécificités, etc. Je chapeaute les trois restaurants du Shangri-La Hotel, Paris : La Bauhinia, le Shang Palace* et L’Abeille**. Après le déjeuner, je reçois des vignerons, des fournisseurs, je gère ma partie achat, etc. Je m’entraine aussi beaucoup à la dégustation en équipe. Le soir, arrive le débrief de L’Abeille et, à partir de 19h30, je me consacre donc entièrement à la clientèle du restaurant. J’essaie ainsi d’être très présent dans tous les points de vente de l’hôtel, ce qui me permet de comprendre au mieux les besoins des clients au sein de nos différents restaurants.

L'Abeille ©Roberta Valerio

V.J. - Pourriez-vous nous présenter la cave de L’Abeille ?

M. M. - Je gère les achats de tous les restaurants de l’hôtel. J’oriente donc mes choix en fonction de nos points de vente et de leur clientèle. Concernant L’Abeille, nous avons une cave d’environ 18 000 bouteilles, soit une carte de 650 à 700 références. En entrant au Shangri-La Hotel, Paris, mon rôle était bien sûr de pérenniser les relations avec nos vignerons mais aussi de pouvoir étoffer la carte avec des vins d’autres régions du monde : Italie, Espagne, Portugal, Afrique et Amérique du Sud, Asie. La cave du Shangri-La Hotel, Paris n’a que huit ans mais l’hôtel a su investir brillamment dans cette partie de développement.

V.J. - D’ailleurs, comment travaillez-vous avec les producteurs ?

M. M. – J’ai la chance de pouvoir me déplacer dans les vignobles en dehors de mes rendez-vous au Shangri-La Hotel, Paris. J’ai donc le privilège de pouvoir découvrir des terroirs. Le Shangri-La Hotel, Paris met un point d’honneur à recevoir tous les vignerons qui le souhaitent, c’est la philosophie de la Maison. Je peux recevoir trois à quatre vignerons par semaine, ce qui me permet de découvrir ou redécouvrir certaines régions et d’avoir des coups de cœur.

Notre métier est avant tout une aventure humaine. Les rencontres, comprendre comment les gens travaillent est la base de notre discipline. J’essaie d’adopter cet état d’esprit d’ouverture et d’écoute avec tous les professionnels du vin que je reçois ici.

V.J. - Un sommelier doit avoir une parfaite connaissance de toutes les boissons proposées. Existe-t-il actuellement une boisson, un alcool, un vin sur lequel vous ne vous êtes pas encore penché et pour lequel vous souhaiteriez développer vos connaissances et, peut-être, l'intégrer à la cave ?

M. M. – L’offre boisson est en effet assez vaste mais il y a toujours matière à découvrir. Il y a des vignobles que je déguste moins que d’autres, comme la Géorgie, alors que les experts s’accordent à penser qu’il s’agit du berceau historique du vin, là où l’on a découvert les premières vignes.

L'Abeille ©Roberta Valerio

Je parlais un peu plus haut du Shang Palace où la culture du thé est évidemment très présente. Il existe des sommeliers du thé. J’ai un grand désir de me perfectionner sur cette boisson complexe qui possède le même schéma de dégustation qu’un vin à savoir : une robe, une partie olfactive et une gustative. De la même façon, il est alors possible de réaliser des accords met-boisson extrêmement intéressants. En dehors de ses vertus reconnues, le thé est une boisson exceptionnelle pour cela.

V.J. - Vous fixez-vous des défis ? Si oui, lequel nourrissez-vous actuellement ?

M. M. – Sur une carte, il est nécessaire d’avoir des appellations phares pour permettre aux clients de conserver des repères. Mais au Shangri-La Hotel, Paris, nous tenons également à mettre en lumière nos coups de cœurs et cultiver une certaine originalité. Il est donc primordial d’entretenir une grande diversité, c’est ma philosophie. Je suis secondé dans cette tâche par trois sommeliers.

V.J. - Comment se passe votre collaboration au quotidien avec les autres talents qui vous entourent : service, cuisine ?

M. M. – Pour réussir et donner pleinement satisfaction à notre clientèle, une bonne collaboration est la condition sine qua non. La sommellerie est, bien entendu, une discipline à part au sein de la salle mais les deux activités ne vont pas l’une sans l’autre. De plus, j’ai la chance de travailler avec deux cultures culinaires différentes - le Shang Palace, avec une équipe chinoise dirigée par Samuel Lee Sum, et L’Abeille, avec une équipe française, sous la direction de Christophe Moret – ce qui m’enrichit énormément. Côté salle, mon principal collaborateur à L’Abeille est Joseph Desserprix, le directeur de salle. Nous dégustons beaucoup ensemble. C’est important pour moi d’obtenir son avis qui est celui d’une personne extérieure à la sommellerie. Je me fie énormément à son œil, sa sensibilité et je sais que si un vin lui plaît, il plaira à nos hôtes. Partager ma passion pour le vin, emmener les gens vers ma discipline est pour moi un véritable moteur !

V.J. - Accords mets-vins vs vins-mets, construire une carte autour de plats ou autour de vins, qu’elle est votre préférence ?

M. M. – Je procède ainsi : en m’adaptant au Chef, au produit du moment. J’adapte mes choix de vin en fonction de la cuisine. Le but ultime reste la satisfaction de la clientèle qui est également le fil conducteur de mes achats. Mon objectif est d’obtenir une harmonie totale avec la cuisine du chef.

L'Abeille ©Roberta Valerio

V.J. - Quelles sont les clefs d’un accord réussi ?

M. M. – Je dirais l’homogénéité parfaite avec un plat, tout en conservant une ouverture d’esprit. Il est important de laisser place à la remise en question constante car un accord ne reste jamais figé. En cas d’incompréhension, nous recommençons jusqu’à ce que le résultat final soit parfait. A chaque sortie d’une nouvelle carte, je participe à la dégustation pour commencer à réfléchir sur mes choix ; la pâtisserie est d’ailleurs tout aussi complexe que les mets salés.

V.J. - Le facteur humain et la connaissance du client que vous conseillez doit aussi entrer en compte ? Comment procédez-vous ?

M. M. – Il faut être à l’écoute comprendre ce que recherche le client. Une des valeurs du Shangri-La Hotel, Paris est l’humilité. Nous abordons une table avec humilité. Nous servons des profils très différents. Certains clients demandent notre expertise, d’autres savent déjà quel type de vin ils aiment. Je pense que notre discipline relève à 60% de la psychologie, 20% de la technique et 20% de la connaissance. On peut être un très grand professionnel, si on ne comprend pas les désirs d’une table, on passe à côté de l’instant. La relation sommelier-client tient d’une véritable alchimie qui doit se créer.

V.J. – Quel est votre dernier coup de cœur en dégustation ?

M. M. – J’ai récemment eu la chance de faire entrer un vin assez atypique un Commandaria millésimé 1984. Il s’agit d’un vin doux naturel de Chypre. Le terroir en lui-même est fascinant. Les vignes poussent sur une terre volcanique au pied du massif Troodos. La légende voudrait que ce soit l’un des plus anciens vins au monde. Ses notes relèvent des fruits noirs un peu compotés, une bouche assez douce. Je l’accorderais volontiers avec un canard laqué façon pékinoise.

V.J. – Un vin que vous n’avez pas encore dégusté mais que vous rêveriez de déguster ?

M. M. – Un vin que je pense ne jamais pouvoir goûter est un Château d’Yquem 1881, acheté il y a quelques années par un collectionneur français. Un Sauternes, une appellation légendaire, de plus de 200 ans ! La palette aromatique d’un vin moelleux de cet âge doit être fabuleuse.  Goûter des millésimes aussi anciens est rare et chargé d’émotions. Je pense également à un Madère du milieu du 19e par exemple, une page d’histoire.

V.J. – Si vous aviez l’occasion de le créer, quel serait votre vin rêvé ?

M. M. – Créer un vin est une question difficile car ce n’est pas mon métier mais j’aimerais, je pense, pouvoir associer dans une bouteille toutes les caractéristiques des plus grands vins à travers le monde pour pouvoir obtenir une palette aromatique vaste, extraordinaire. Également, un vin qui puisse défier le temps en pensant à la génération future qui le boira dans 200 ans. A l’inverse, si je pouvais remonter le temps, j’aurais aimé participer à l’élaboration des grands millésimes qui ont fait le 20e : 1900, 1929, 1947, 1961…

 

Shangri-La Hotel, Paris,

10, avenue d'Iéna

75116 Paris

Site Web

(Crédit photo : Roberta Valerio)

 

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