02/05/2019

INTERVIEW : Alexis Muñoz, producteur d'huile d'olive et élaïologue

news-main-interview-alexis-munoz-producteur-dhuile-dolive-et-elaiologue.1556639425.jpg Photo credit: Anne-Emmanuelle Thion

« Il n’existe pas une bonne ou mauvaise huile d’olive. Il existe des gens qui travaillent bien, d’autres non ! » Le ton est donné, l’imperfection n’est pas dans le fruit de l’arbre centenaire mais dans la façon dont on le traite. À ce titre, Alexis Muñoz, producteur (et élaïologue !) s’est engagé dans une légitime et porteuse entreprise. Grand connaisseur des métiers de l’olivier, de la plantation à l’extraction, il s’est forgé un solide socle d’anecdotes et d’histoires au fil de ses voyages et de ses rencontres. Car il n’existe pas d’école pour découvrir l’olivier, seul le terrain vous ouvre à ses réalités. C’est à travers le prisme de sa science de l’olive que l’on se rend compte à quel point l’olivier est, non seulement un liant sociétal, mais aussi une sorte de sage inaltérable dont les générations qui se succèdent puisent les bienfaits. Plus encore, l’olivier et son fruit transcendent les époques comme les inégalités. Peut-être que finalement, Alexis Muñoz possède, en tant qu’homme, certaines des qualités du puissant végétal car, comme lui, l’artisan travaille dans le temps, transmet et fait passer un savoir…

Vendom.jobs - Quel est ce fameux arôme à l’origine de votre envie de partir découvrir les terres des oliveraies ?

Alexis Muñoz - Le produit, l’huile d’olive, les oliviers sont des univers qui m’ont toujours passionné. J’ai grandi auprès d’une grand-mère espagnole, très aimante, qui cuisinait beaucoup. Dans sa palette aromatique il y avait l’huile d’olive, le thym et le romarin ; ce produit m’a donc était très tôt familier. Ce qui me plaît également dans le monde de l’olivier c’est sa simplicité. L’huile d’olive est à la base de l’alimentation de toute les couches des sociétés méditerranéennes, même les plus pauvres. C’est un arbre extraordinaire capable de résister au temps et aux différents incidents biologiques, environnementaux, sans jamais disparaître. Son fruit pressé donne une huile extrêmement vertueuse sur le plan du goût mais aussi de la santé. En résumé, l’olivier revêt des valeurs agronomiques mais aussi sociétales qui m’ont toujours passionné.

Mes premiers voyages ont été en Espagne et au Liban, en hiver, à la saison où l’on produit l’huile d’olive donc. J’avais envie aussi de me couper de ma situation d’alors, m’immerger dans cet environnement et découvrir l’aspect technique de l’huile d’olive. J’ai travaillé pendant un mois et demi dans deux moulins où je proposais d’offrir mon travail contre le gîte. Puis, et ce pendant dix ans, un voyage en a appelé un autre, c’est comme cela que je me suis formé. Au fil de mes rencontres, même dans des pays dont je ne parlais pas la langue, en croisant la route de gens extraordinaires qui me parlaient d’exploitations, d’autres régions de production, j’eus envie de pousser toujours plus loin. Jusqu’à mon arrivée en Tunisie, à Zidi Bouzid, ou nous avons décidé de construire un moulin. Il n’y en avait pas dans la région, nous avons donc permis à des gens de produire à domicile. Ayant financé moi-même l’entreprise, j’ai également créé une coopérative d’agriculteurs qui exploitent toujours le moulin.

V.J.- Justement, parlez-nous du domaine que vous êtes en train de contribuer à créer dans le sud de la France ?

A. M. – Il convient d’abord de présenter l’histoire de cette culture en France. J’ai beaucoup appris de mes voyages en Espagne, le pays de l’olivier, qui représente la moitié de la production mondiale. C’est une civilisation qui vit réellement l’huile d’olive. En France, nous avons malheureusement perdu nos oliviers durant le terrible hiver 1956. Personne n’a replanté car le temps entre la plantation de l’olivier et son exploitation est long. Après-guerre, nous avons donc plutôt privilégié les cultures courtes comme la vigne pour faire entrer des revenus rapidement. De plus les terres, durant les vingt années suivantes, sont devenues extrêmement chères en Provence, Minervois, etc. La production française ne représente en fait que 3% de la consommation nationale. N'étant pas en mesure de financer un tel projet, j'ai proposé à un ami, amoureux de la terre et de l'agriculture, d'investir dans un grand domaine du sud de la France. J'ai ainsi eu la possibilité de conduire une plantation majeure en France de A à Z et d'y créer ces prochains mois un moulin de dernière génération. Toute mon expertise est à disposition de cette exploitation.

Nous y pratiquons l’agro-écologie, c’est-à-dire que nous plantons différentes variétés qui correspondent au terroir pour produire différentes huiles d’olive monovariétales. J’ai, en fait, envie d’appliquer ce que j’ai appris pendant mes quinze années de voyage. Il y a de très belles petites exploitations en France mais il n’existe ici aucun modèle économique de l’olive. Nous avons survolé l’importance des techniques, de la technologie permettant d’optimiser les coûts de production et en même temps de travailler sur de la haute qualité.

V.J - Comment avez-vous intégré le cercle très fermé de la gastronomie ? Et inversement, comment les chefs ont-ils orienté votre recherche ?

A. M. - Je suis d’abord très fier de pouvoir vendre des huiles d’olive à un 3 étoiles comme à un bistrot. Ce qui signifie que la qualité et les prix que je propose correspondent à une immense variété d’établissements. Les chefs m’apportent certainement plus que je leur apporte ! Mathieu Viannay, Anne-Sophie Pic, des chefs très affutés en dégustation, ont aiguisé mon sens en tant que producteur et dégustateur sensoriel. À leur contact, j’ai enrichi mes connaissances en comprenant les différentes utilisations que l’on peut faire de l’huile d’olive en tant qu’ingrédient, et non condiment. C’est intéressant de pouvoir discuter d’amer, de rétro-olfaction, d’équilibrage, etc. avec des cuisiniers, en terme technique et de recherche. Ils m’ont apporté le sens du goût en cuisine et des équilibrages sensoriels.

V.J - Des accords d’arômes que vous aimez particulièrement, que vous conseilleriez ?

A. M. - Il est déjà important de comprendre que l’huile d’olive n’est pas une question de région ou de terroir mais de variété. Il est possible de comparer la variété au cépage, par exemple. Elle fera que vous aimez ou pas une huile – si vous n’aimez pas le Cabernet-Sauvignon ou le Merlot, vous n’aimerez pas les Bordeaux ! Cependant, l’impact du terroir dans le vin est très important mais pas dans l’huile d’olive. Le second paramètre important est le degré de mûrissement du fruit. On peut l’apprécier immature, mûre ou même très mûre, même le faire fermenter. On peut alors jouer sur ces variations pour les associer à tel ou tel plat, telle ou telle saison. Une cueillette précoce – l’olive est verte, non mûre - va donner des huiles d’olive très herbacées, très végétales avec des amers, chargées d’anti oxydants. On obtient donc la tonicité parfaite pour dynamiser une salade, pour contrer le gras d’un fromage de chèvre ou d’une burrata, car l’amer équilibre le gras. On peut l’utiliser également sur une truite ou un saumon fumé que l’huile va venir de même alléger sensoriellement. On peut aussi la marier à des produits sucrés, comme les fraises gariguette. Par contre, une cueillette tardive, beaucoup plus ronde donc plus confituré, ira parfaitement sur des poissons ou des légumes d’hiver, un tartare, un carpaccio, etc.

V.J – Quel est votre accord favori ?

A. M. - J’aime consommer l’huile seule avec du pain et du miel. Le matin, je déjeune avec du pain grillé, une huile d’olive très verte, très piquante, que je contrebalance avec du miel de lierre ou avec du jambon Serrano.

V.J – Que pensez-vous des formations d’oléologie ?

A. M. - Il existe des formations de dégustation sensorielle pour apprendre à déguster, à comprendre et développer ses capacités sensorielles et sa mémoire olfactive, comme le ferait un parfumeur. Il est possible d’apprendre à retenir et qualifier mais si vous ne faites pas l’effort d’aller déguster, découvrir, de multiples variétés, ça ne sert à rien. J’ai visité plus de 200 moulins et je déguste sans doute entre 400 et 500 huiles d’olive par an !

Ensuite, évidemment, cela dépend de quelle profession du monde de l’olive vous souhaitez vous rapprocher : agriculteur, producteur, dégustateur. Dans tous les cas, il faut aller sur le terrain, découvrir les différentes façons de faire dans les différentes régions de production pour comprendre la diversité des variétés, des utilisations, etc.

Le métier d’oléologue en lui-même n’existe pas. On fait appel aux dégustateurs pour arriver à discerner les éventuels défauts d’une huile que les analyses chimiques ne peuvent pas déterminer. Cette fonction viendrait donc plutôt en complément d’un autre métier, par celui de producteur.

V.J – Quelques mots pour faire découvrir/décrire l’huile d’olive à un novice ?

A. M. - Le message que je souhaiterais faire passer en premier lieu est celui de la simplicité et de l’accessibilité de ce milieu. Il est absurde que des gens se targuent de rendre inaccessible l’huile d’olive sous prétexte d’en faire un produit précieux, économiquement onéreux. Au contraire, ce qui m’intéresse c’est que les gens comprennent ses valeurs essentielles. Il faut comprendre que chaque variété possède son goût spécifique, de même chaque maturation a un goût et ce, en relation avec la variété, bien entendu. Il faut savoir que l’huile d’olive est fragile, qu’elle s’oxyde à la lumière, à l’air, à la chaleur, qu’il vaut mieux la conserver dans un contenant opaque. Les notions d’identification, d’indication géographique protégée ne sont que des marques d’authentification et non de qualité. Donc, en fait, vous choisirez l’huile d’olive en fonction de votre goût, de ce avec quoi vous la marierez, de la saisonnalité des produits, etc.

Il est enfin primordial de pratiquer, même chez soi en goûtant des échantillons de différentes huiles. Être capable de mettre des mots sur les sensations, se créer une bibliothèque sensorielle en quelque sorte. Le nez, l’intensité du fruité, la sensation en bouche, etc., il faut pouvoir arriver au fur et à mesure à les décrire, les reconnaître… Ensuite, partir découvrir, être curieux, inventif !

Alexis Muñoz-Huiles d’olive

60 avenue Tony Garnier
1er étage
69007 LYON
www.alexismunoz.com

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