25/09/2019

INTERVIEW : Wilfried Morandini, directeur général de Cheval Blanc Courchevel

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La Tour d’Argent, L’Espadon du Ritz Paris, The Restaurant Marco Pierre White, Le Manoir aux Quat’saisons de Raymond Blanc,  le Louis XV de Ducasse, le Cinq du George V, Le Bristol avec Éric Fréchon, Le Meurice avec Yannick Alléno et encore… et encore… des adresses et des noms au firmament de la gastronomie mondiale. C’est dans ces fabuleuses adresses que Wilfried Morandini, actuel directeur général du Palace le Cheval Blanc Courchevel, s’est forgé une carrière exemplaire des étoiles plein les yeux. Si de la salle, de sa direction, il est passé au management de prestigieuses adresses, c’est que les nouveaux visionnaires de l’hôtellerie de luxe ont su trouver en Wilfried Morandini la rigueur et l’exemplarité d’un meneur d’hommes doublées de l’ouverture et la générosité d’un parcours mené au grès de ses rêves, de ses envies et des opportunités qui se sont présentées à lui.

Vendom.Jobs – Vous avez forgé votre parcours dans les plus emblématiques établissements français. Pourriez-vous nous en parler ?

Wilfried Morandini - Mes parents tenaient un commerce de boucherie-charcuterie-traiteur, j’ai donc très jeune travaillé en laboratoire où j’ai commencé à cuisiner avec mon père et mon frère. Je me suis cependant vite rendu compte que je préférais livrer et servir, j’ai donc commencé un lycée hôtelier à 14 ans. Serge Cousin, mon professeur de commercialisation et service, a rapidement remarqué mes aptitudes et, à 17 ans, il m’a envoyé faire un stage de deux mois à La Tour d’Argent, à l’époque trois étoiles Michelin, où j’ai été pris comme commis de salle dès la fin de mes études. Toujours sur les conseils de Serge Cousin, après 16 mois passés à La Tour d’Argent, j’entre dans une autre belle maison parisienne : le Ritz, à L’Espadon**, dont Guy Leguay dirigeait les cuisines.

Ayant toujours été attiré par la gastronomie de luxe et devant parfaire mon anglais, j’ai rejoint le restaurant triplement étoilé de Marco Pierre White à Londres où je suis rapidement passé chef de rang. Après le service militaire, je suis revenu en Angleterre au Manoir aux Quat’ Saisons** à Oxford. Mais mon rêve était d’intégrer le Louis XV*** à Monaco. J’y suis resté 5 ans évoluant de chef de rang à maître d’hôtel. Je nourrissais également l’objectif de devenir directeur de salle d’un trois étoiles à 30 ans.  

J’entre alors au Cinq, réouvert depuis peu, comme maître d’hôtel ; le directeur de salle était Éric Beaumard. Je n’y reste qu’un an car Le Bristol me propose de devenir directeur adjoint du restaurant. Six mois seulement après mon entrée au Bristol, Le Meurice** me propose de devenir directeur de salle. Ce n’était pas le trois étoiles attendu mais j’ai accepté. J’y ai dirigé une brigade de 35 personnes. Yannick Alléno est alors en pleine expansion et cherche à acquérir une troisième étoile, que nous obtiendrons en 2007.

© F. Nannini

Au bout de cinq années au Meurice, j’avais besoin d’un nouveau challenge. Franka Holtmann, sa directrice, m’a proposé le poste de directeur adjoint de la restauration. Je découvre alors un autre métier avec une vue d’ensemble du département. J’y traite non plus avec des clients extérieurs mais des collaborateurs dans le but de faire évoluer la performance du service.

Après une étape à Bordeaux, Yannick Alléno m’appela pour devenir directeur de la restauration au Royal Mansour à Marrakech. Ce fut une expérience incroyable car Jean-Claude Messant, son directeur général, venait aussi d’arriver. L’hôtel avait été à demi-fermé pendant trois ans et notre objectif était de le rouvrir et développer l’attractivité de la maison. Nous formions également les équipes marocaines. J’ai adoré me nourrir de l’expérience de ce grand hôtelier !

V.J – Comment passe-t-on de directeur de la restauration à directeur général d’adresses tout aussi prestigieuses ?

W. M. – Après deux ans et demi à Marrakech, mon épouse et moi-même, ainsi que nos deux enfants, souhaitions revenir en France. Alice et Jérôme Tourbier m’ont offert l’opportunité de devenir le directeur général des Sources de Caudalie. C’était un grand bonheur d’intégrer une si belle maison dans une région que nous aimions. Au bout de deux ans, une autre grande maison m’a attiré vers une nouvelle superbe opportunité : devenir le directeur général du Cheval Blanc Courchevel, sous la houlette LVMH. Je connaissais cette adresse historique du groupe et son directeur général, Romain Meiran. Devenir le directeur général d’un établissement que j’appréciais tant était une chance magnifique.

Toutefois, je ne pourrais expliquer comment l’on devient directeur général de ces adresses incontournables. Comme je l’ai dit précédemment, mon objectif était de devenir directeur de salle. Mais, peut-être, secrètement aussi, je rêvais d’intégrer une petite structure hôtelière, une exploitation à taille humaine où je pourrai être proche de mes collaborateurs et de nos hôtes.

V.J. - Vous avez toujours dirigé des adresses qui sont des phares de l’expérience luxe. Toute possède une « âme » qui leur est propre. Comment se « glisse-t-on » dans des « ADN » si forts ?

W. M. – Dans l’univers de l’hôtellerie haut de gamme, il faut être un chat. Suivant les conseils de mon professeur à l’école hôtelière, j’ai beaucoup bougé pour acquérir et diversifier mon expérience. En effet, en restauration tout va très vite, c’est donc en restant très mobile et réactif sur les opportunités que l’on grandit.  Bien sûr, tout dépend aussi des envies, des ambitions que l’on nourrit. J’ai toujours travaillé dans des environnements splendides, il me fallait donc un moteur pour relever de nouveaux défis. J’ai cette volonté d’aller chercher toujours plus haut.

Pour répondre à votre question, je pense, qu’au départ, l’on s’adapte à la maison, on apprend à la connaître, connaître ses collaborateurs et sa clientèle puis, naturellement, on y insuffle sa vision, sa philosophie tirées des expériences que l’on a traversées.

V.J. - Que désirez-vous faire passer à vos équipes ? Quel est votre regard sur le management ?

W. M. – Quand je me lève le matin je pense avant tout à mes clients, à mes collaborateurs, à ce que je pourrai faire de plus pour eux. À Cheval Blanc Courchevel, nous appelons nos employés les « ambassadeurs ». Chaque jour, nous réalisons une « matinale », c’est-à-dire un briefing : nous recensons les départs, les arrivées puis nous échangeons sur les problématiques en cours, ce que nous percevons de bien ou de perfectible dans la vie de la maison. Je souhaite que nos équipes aient une volonté d’aller toujours plus loin, de réfléchir à comment anticiper les problématiques : comment rendre l’expérience client encore meilleure, comment aller au-devant de ses attentes, etc. Je tiens à les mettre dans la position de managers, ils doivent se projeter.

Ma vision du management est participative. Je tiens à responsabiliser les chefs de service mais aussi toutes les strates. Je me définis d’ailleurs souvent comme un « agitateur », j’essaie d’éveiller leurs initiatives tout en les guidant car le rôle du manager est d’emmener ses équipes, de les orienter, de veiller à l’épanouissement de leurs talents. Être manager, c'est être à la fois une oreille, un consultant. Je suis ainsi très proche des clients mais aussi de mes équipes, ce qui a pu surprendre, au départ, les fidèles de la maison.

V.J. - Quels sont, selon vous, les notions clefs du management d’une adresse comme Cheval Blanc Courchevel ?

W. M. – Comme je viens de le souligner, je suis au plus près des clients, depuis le jour de leur arrivée jusqu’à leur départ. Je passe en salle au petit-déjeuner pour les saluer, etc. Je pense que cette proximité fait aussi la force de cet hôtel de 36 clefs. L’avantage d’une petite structure comme la nôtre est de pouvoir faire vivre des expériences et les partager.

Je souhaite aussi une communication transversale ce qui n’est pas toujours facile pour un établissement saisonnier car les chefs de service bougent beaucoup. En général, après trois saisons, les ambassadeurs souhaitent évoluer vers des CDI, ce qui rend les équipes assez cycliques. Parfois nous accueillons jusqu’à 5 nouveaux chefs de service sur un total de 14 ! Il est donc primordial d’apprendre la transversalité, de comprendre que nous avons besoin les uns des autres afin de travailler dans le sens du client, mieux communiquer sur ses attentes, ses envies.

V.J. – Quel est, pour vous l’esprit du Cheval Blanc Courchevel ?

W. M. – « Ducit supra montes », « par-delà les montagnes », telle est notre devise, toujours plus haut. Toutes les maisons Cheval Blanc ont la chance d’accueillir une clientèle exceptionnelle dont les attentes sont tout aussi exceptionnelles. Nous savons offrir le meilleur en matière d’environnement, d’expérience et de service. 90% de la clientèle des périodes de fin d’année sont des fidèles qui connaissent souvent mieux la maison que nous-mêmes. Nous devons donc être humbles vis-à-vis de nos hôtes. Cheval Blanc Courchevel est comme un grand chalet où tout le monde se connaît, une famille. Voilà l’esprit du Cheval Blanc Courchevel : prendre plaisir à faire plaisir.

Je dois ajouter qu’étant issu d’une famille modeste de commerçants dont le métier nécessitait d’aimer les gens, d’avoir des intentions envers eux, j’ai appris la générosité des actes. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir décupler cette générosité en évoluant dans un Palace. Avoir toujours un mot attentionné montre que l’on a de la considération pour son interlocuteur. C’est aussi cela l’ADN du Cheval Blanc Courchevel !

© F. Nannini

V.J. – Percevez-vous de nouveaux développements dans hôtellerie de luxe ?

W. M. – Pendant longtemps nous avions une approche focalisée sur le client, il devait être satisfait de son investissement. Avec la génération des Millenials, nous nous sommes rendu compte que la satisfaction des clients était réelle mais qu’en était-il de celle de nos équipes ? Il faut être conscient que si nos collaborateurs vont bien, les clients iront bien. Il s’agit d’une prise de conscience assez récente, nos équipes doivent aussi vivre une expérience. L’énergie que nous mettons à rendre nos hôtes heureux, nous devons également la mettre à rendre nos collaborateurs heureux.

V.J. – Comment définiriez-vous la « touche » que vous apportez alors à cet environnement ?

W. M. – À Cheval Blanc Courchevel, nous logeons nos équipes. Dans chaque logement, je prends soin de déposer un mot manuscrit personnalisé, accompagné d’un petit cadeau de bienvenue pour leur souhaiter bonne saison. C’est une attention que nous avons pour nos clients, j’ai décidé d’avoir la même pour chacun de nos ambassadeurs quand ils arrivent. Ceci sans arrière-pensée, car c’est bien sûr l’élite de la profession qui vient postuler chez nous. Ils connaissent la maison, le groupe, la singularité de notre clientèle. Ils sont donc conscients que la barre est placée très haut aussi. Afin de perpétuer cette image d’excellence, il convient que nous ayons la même démarche envers eux qu’envers nos clients. J’entends, qu’en tant que directeur général du Cheval Blanc Courchevel, mon devoir est de leur faire vivre l’expérience Cheval Blanc pleinement. Ainsi, nous organisons par exemple beaucoup d’activités diverses mais aussi une grande fête en fin de saison. Nous restons également en contact tout au long de l’année, nous nous envoyons des messages, des attentions personnalisées tout au long de l’année, etc.

V.J. – Votre destination de rêve ou rêvée ?

W. M. – Je dirais, en France, le Cap-Ferret. C’est un lieu calme, plein de quiétude, encore sauvage hors saison où j’apprécie aller me ressourcer avec mon épouse et mes enfants. Lorsque nous nous déplaçons sur la péninsule en vélo, dans les pinèdes, nous ne croisons aucune voiture. J’aime également beaucoup le côté vivant de l’océan. Quand nous avons envie de quelque chose de plus calme, nous pouvons aller sur le bassin d’Arcachon pour déguster des huîtres et boire un bon verre de vin blanc. J’aime être entouré de toutes ces choses naturelles. Vivant dans de splendides établissements toute l’année, j’ai parfois besoin de retrouver mes racines, je viens d’un village de 500 habitants ! Quand je m’éloigne de ces lieux superbes, j’ai besoin de renouer avec ce côté sauvage, il me recharge, me ramène à une réalité, à une approche sereine qui nourrit aussi la relation que j’entretiens, au quotidien, avec mes clients et mes collaborateurs.

 

(Crédit photo courverture : V. Mati)

 

 

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