02/10/2019

INTERVIEW : Thibaut Gamba, chef de la Table du Clarance* à Lille

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De ses Vosges natales aux fjords norvégiens en passant par la grosse pomme, Thibaut Gamba évolue depuis ses débuts, à 18 ans, au milieu des étoiles. Fidèle à ses pairs mais aussi très curieux de découvrir les traditions inhérentes aux produits locaux, c’est cette ouverture d’esprit qui l’a mené à traverser océan et mer. Lauréat de la dotation Gault & Millau « Jeunes Talents » en 2015, il succède en 2017 à Nicolas Pourcheresse à La Table du Clarance*. Il insuffle depuis à la prestigieuse institution une cuisine à l’esprit cosmopolite inspirée de ses différentes expériences à l’international et rythmée par les arrivages dont l’originalité, la fraîcheur et le « peps » ne cessent d’enchanter les hôtes des lieux.

Vendom.jobs – Pourriez-vous nous parler des différentes étapes de votre carrière avant le Clarance ?

Thibaut Gamba – J’ai débuté chez Lasserre**, avec Jean-Louis Nomicos, j’y ai passé quatre ans. J’étais chef de partie tournant sur l’ensemble des postes. J’y ai appris les bases de la cuisine française classique que l’on faisait chez Lasserre. Souhaitant me diversifier, je suis ensuite parti chez Pierre Gagnaire au Balzac***. J’y ai découvert une cuisine très différente. Puis, j’ai voulu voyager. Je m’intéressais à un chef américain, Thomas Keller. J’ai envoyé mon curriculum vitae et j’ai été accepté pour faire un essai de trois jours à New York. J’ai alors intégré Per Se***. Ne parlant pas anglais au départ, étant livré à moi-même, cette expérience m’a fait beaucoup grandir. Je suis rentré en Europe lorsque mon visa a expiré. À cette époque un collègue norvégien était dans le même cas que moi. Il m’a proposé de l’aider à ouvrir son restaurant à Bergen et j’y suis finalement resté trois ans. J’ai découvert là une industrie du poisson extraordinaire, nous étions au bord des fjords. Je suis ensuite arrivé au Clarance.

V. J. – Dans quel état d’esprit reprend-on une table aussi prestigieuse ? Une nouvelle ère de la gastronomie du Nord semble s’ouvrir ? Comment vous situez-vous par rapport à cela ?

T. G. - J’apprécie ce challenge. Nous sommes plusieurs chefs à œuvrer pour ce renouveau mais tous avec une identité culinaire différente. C’est très excitant, une véritable émulation. Les Hauts-de-France ont toujours eu de bons cuisiniers mais la région a souvent été sous-estimée. C’est un beau défi à relever que j’envisage plus comme une continuité de ce qui existait déjà. On s’intéresse désormais de plus en plus à ce qui se passe en province. La gastronomie du Nord a une longue histoire, nous travaillons maintenant à la mettre en valeur.

V. J. – De vos expériences à Paris, New York, en Norvège, qu’avez-vous tiré et que réutilisez-vous dans vos créations mais aussi au niveau de l’organisation en cuisine ?

T. G. – Je dois dire que chaque chef m’a beaucoup apporté, ils m’ont fait grandir, et je n’ai aucun regret des choix de carrière que j’ai faits jusqu’à maintenant. J’ai travaillé avec des chefs qui avaient tous de grandes qualités humaines, qui étaient à l’écoute et qui nourrissaient de solides valeurs de transmission.

Concernant le management, aux Etats-Unis, je me suis trouvé en face d’une organisation très stricte, extrêmement bien définie. Tout le monde sait ce qu’il a à faire et le fait bien. Tout se déroule dans la sérénité.

Ensuite, j’ai appris dans chaque établissement le respect du produit, qui est la base de notre métier mais, ayant toujours travaillé dans des restaurants étoilés, j’ai aussi eu la chance d’avoir accès à des produits exceptionnels.  Mon expérience en Norvège a toutefois été marquante car j’étais en contact direct avec les produits de la mer. J’allais pêcher avec les pêcheurs. J’ai appris à respecter les modes de pêche, la saisonnalité. Il existe en Norvège une grande culture autour de l’industrie du poisson très respectueuse de la biodiversité. Il faut dire aussi que la population étant bien moindre qu’en France et que les côtes étant plus étendues, il est plus facile de ne prélever que le strict nécessaire.

V. J. – Vous êtes originaire des Vosges, comment abordez-vous les produits de la région des Hauts-de-France ?

T. G. – J’estime qu’il est primordial qu’un chef qui n’est pas d’une région s’attache à découvrir et à travailler les produits locaux. Les clients sont de plus en plus sensibles à une consommation raisonnée, basée sur les circuits courts.

Grâce à mon expérience scandinave, mon fil conducteur est devenu le travail des produits de la mer : poissons, coquillages, crustacés, algues… Nous avons la chance d’avoir de superbes criées à Dunkerque et Boulogne qui nous fournissent en poissons locaux tout en étant à une heure de Lille. Le terroir local est aussi magnifique en matière de maraîchage. Nous disposons désormais d’une grande diversité de végétaux et nous sommes capables d’avoir à Lille quasiment tous les fruits et légumes qui peuvent exister.

V. J. – Comment composez-vous votre carte ?

T. G. – Assez simplement. J’ai établi un contact très privilégié avec tous mes producteurs. Nous avons d’ailleurs organisé au printemps dernier un marché des producteurs dans la cour de l’hôtel. Nous y avons invité les gens à venir faire leur marché et avoir accès aux produits dont nous disposons quotidiennement au Clarance. Ce fut un énorme succès ! 

Ainsi, mes menus sont toujours établis en fonction de ce que peuvent me livrer mes fournisseurs, ce qu’ils ont de disponible quotidiennement et en aucun cas le contraire.

V. J. – Vous avez fait entrer un vent nouveau au Clarance en vous basant majoritairement sur les produits de la mer mais vous gardez quelques mets plus traditionnels. Quels furent les retours de votre clientèle ?

T. G. – En effet, en saison nous proposons toujours du gibier, pendant quelques semaines dans l’année, en hiver, car j’ai appris à travailler le gibier sauvage.

Le plus grand de mes menus se déroule en huit ou neuf temps. Chaque fois, il y a au moins une viande car il reste des personnes qui apprécient retrouver de la viande, même si les autres plats tournent autour des produits de la mer. À New York, j’étais responsable du poste des viandes et des sauces et je m’y suis réellement épanoui. Mais j’avais envie de casser un peu les codes, faire manger plus de poisson aux gens et essayer de leur faire découvrir cet univers.  Les clients apprécient, les esprits s’ouvrent, ils aiment découvrir. Les retours ont donc été très positifs dès le départ. Sans forcer la main à nos hôtes, nous avons un grand sentiment d’accomplissement quand ils nous avouent qu’ils ont apprécié découvrir des choses nouvelles. Même si, chaque jour, je m’appuie sur mes bases en matière de sauces, de consommés, de bouillons, je ne crée pas une cuisine traditionnelle. J’aime également utiliser des techniques apprises aux États-Unis, en Norvège, ma cuisine est un mélange de toutes ces influences.

V. J. – Avez-vous des produits de prédilection, hormis le poisson, ou certains sur lesquels vous aimeriez travailler à l’avenir ?

T. G. – En réalité, je fonctionne à l’instinct et il me serait bien difficile de dire ce que je cuisinerai dans six mois. Au niveau des techniques, j’apprécie reprendre celles que j’ai apprises en Scandinavie : de fermentation, de salaison, de fumage. À New York, nous exécutions plus une cuisine tournée vers le monde et nous étions capables d’avoir les meilleurs produits européens, japonais...

J’aime beaucoup travailler les produits de la mer. J’ y apporte toujours en plus une acidité, une amertume avec des herbes sauvages qui viennent « rebooster » le palais et apportent quelque chose en bouche.

V. J. – Avez-vous une madeleine, une saveur mémoire ?

T. G. – L’acidité. Je pense qu’elle a une grande place dans la cuisine, l’amertume également. Elles peuvent toujours venir des produits de saison, des agrumes en hiver par exemple. Nous faisons aussi nos infusions de vinaigre : de fleurs, de plantes, de fruits.

 

Clarance Hôtel *****

Restaurant gastronomique La Table*

32 Rue de la Barre

59000 Lille – France

+33 3 59 36 35 59

Website

 

(Crédit photo : Le Clarance)

 

 

 

 

 

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