INTERVIEW : Nathalie Seiler-Hayez, directrice générale, Beau-Rivage Palace, Lausanne

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Il est l’un des fleurons de l’hôtellerie de luxe suisse, le Beau-Rivage Palace (Leading Hotels of the World) règne toujours, sous ses atours Belle époque, sur le petit monde des hôtels d’exception. Posé fièrement sur les bords du lac Léman, niché au creux d’un jardin paysager, il décline des offres à l’image de son élégance et de son excellence : un restaurant doublement étoilé menée par la talentueuse chef Anne-Sophie Pic, un immense spa nommé Cinq Monde pour l’inspiration internationale dont ses soins sont tirés… En arrivant à sa tête en 2015, Nathalie Seiler-Hayez, sa directrice générale, a ajouté une nouvelle adresse mythique au palmarès d’une carrière déjà éminemment brillante comptant notamment Le Regent Grand Hôtel de Bordeaux (actuel InterContinental Bordeaux Le Grand Hôtel) ou encore le Connaught. Une expertise, une vision de l’hôtellerie de luxe, qu’elle continue à perpétuer au sein du Beau-Rivage Palace dans un esprit de simplicité, de partage et d’authenticité.

Vendom.jobs - En tant qu’ancien membre de l’Ecole Hôtelière de Lausanne et désormais acteur majeur de l’hôtellerie de luxe, comment embrassez-vous votre rôle de mentor ?

Nathalie Seiler-Hayez – Je prends ce rôle très au sérieux. En tant que manager d’hôtel, la transmission fait partie de notre mission. Nos métiers de service dans l’hôtellerie, la restauration, ont beaucoup évolué ces 30 dernières années et ne sont plus aussi attractifs. Nous devons redonner envie aux jeunes générations de les occuper. J’ai envie de leur montrer à quel point notre industrie est riche et diversifiée mais aussi porteuse de formidables opportunités. Je ne connais pas d’autres secteurs aussi peu monotones et pleins de surprises. 

V. J. - Quelles sont les problématiques de recrutement de l’hôtellerie haut de gamme en Suisse ?

N. S. - H. - Je pense qu’elles sont les mêmes que partout ailleurs et reposent en grande partie sur la mobilité des jeunes générations. Il est rare de nos jours de faire la totalité de sa carrière au sein d’un même établissement ; la tendance inverse est même plus courante. Cumuler les expériences est primordial pour se former mais sans multiplier des temps de présence trop courts. Il faut savoir s’ancrer dans une position pour acquérir une expérience substantielle. Notre clientèle est de plus en plus internationale, j’encourage donc les jeunes diplômés à voyager pour découvrir et comprendre d’autres cultures. La mobilité n’est pas un frein, au contraire, si une bonne stratégie d’évolution est pensée en amont.

V. J. - Quelle est votre philosophie du management ?

N. S. - H. – Pendant des années, dans l’hôtellerie, nous avons connu un système pyramidal au sommet duquel trônait un manager quasi omnipotent. Nous allons désormais vers des organisations beaucoup plus horizontales comme dans tout autre secteur. Il est essentiel pour un directeur général de savoir se remettre en cause, de consulter des gens qui ont une autre expertise que la sienne. Nous ne sommes pas omniscients. Il faut, bien sûr, du temps pour changer la culture de l’entreprise. Pour ma part, cette horizontalité s’accorde avec ma propre vision du management, participative, qui implique de s’entourer de talents et prendre les décisions ensemble.

D’autre part, les jeunes professionnels sont également de nos jours en quête de sens dans leurs tâches. En tant que managers, nous devons également insuffler ce sens notamment en répondant aux changements sociétaux, par exemple dans les domaines de l’environnement, de la durabilité, etc.

V. J. - Quelles sont pour vous, à l’heure actuelle, les principaux atouts de l’hôtellerie suisse haut de gamme ? Ses principales difficultés ?

N. S. - H. – Dans leur trop grande modestie, les Suisses ont en général du mal à se mettre en avant et cela rejaillit sur l’image du secteur hôtelier suisse. Hormis les grandes adresses glamours de montagne dans des stations prestigieuses, la Suisse n’offre pas une image d’un tourisme suisse très dynamique. Pour pallier cette grande retenue, je pense que nous devrions nous rassembler, nous acteurs de l’hôtellerie de luxe de la riviera lémanique. Nous possédons des atouts extraordinaires grâce notamment à notre patrimoine hôtelier très ancien, nos paysages grandioses. La sécurité est une des autres dimensions très attractives du tourisme en Suisse. Le pays est aussi synonyme de rigueur, de qualité… Nous possédons beaucoup de grands palaces pour un si petit pays. Nous ne devons pas oublier que la Suisse est le berceau de la grande hôtellerie et nous devons faire vivre ce fabuleux héritage.

V. J. - Comment arrive-t-elle à pallier la forte concurrence des destinations émergentes et des nouvelles pratiques de voyage (last minute, rentals, etc.) ?

N. S. - H. – La grande hôtellerie de palaces, avec ses codes, connaît et connaîtra toujours une demande. Notamment grâce à sa dimension d’un service humain qui ne cesse de se dépasser pour toujours aller plus loin. Nous sommes aujourd’hui à l’époque de l’ultra personnalisation. Nous faisons sentir au gens à quel point ils sont uniques. Nous perpétuons ce bel héritage car nous possédons les moyens pour innover et offrir des expériences incomparables.

Paradoxalement peut-être, l’avantage est que les rentals stimulent les hôteliers pour se réinventer. Mais un voyageur qui recherche un rental n’a pas la même démarche que celui qui est attaché à l’hôtellerie haut de gamme. Pour cela, je reste très confiante sur l’avenir de nos palaces. Nous entretenons ce lien affectif, émotionnel, avec nos clients et il se perpétue de génération en génération. Ceci est bien sûr dû à la dimension humaine de notre métier. Plus on monte en gamme dans la dimension luxe, moins le produit à d’importance mais l’attention accordée au client.

V. J. - Lorsque l’on est à la tête d’une adresse historique, à l’aura internationale, quel est le parfait équilibre entre perpétuation d’un patrimoine et vision (tournée vers le futur) ?

N. S. - H. – Il s’agit d’une question que rencontrent tous les hôtels de luxe historiques : trouver cet équilibre. Encore une fois, je pense que cela est possible en étant à l’écoute des problématiques actuelles. Un retour à certaines valeurs, de bien-être, de reconnexion avec l’essentiel, d’authenticité.

V. J. - On a souvent souligné que vous étiez la première femme à la tête du Beau-Rivage Palace alors que vous avez été auparavant à la tête d’autres adresses prestigieuses européennes. Avez-vous ressenti, au cours de votre carrière, des différences de traitement dans des postes à hautes responsabilités comme le management ?

N. S. - H. – Personnellement, non. Nous sommes plus émotionnelles sans aucun doute et c’est une grande qualité car dans le monde de l’hôtellerie nous sommes là pour créer des émotions. Durant ma carrière, tous mes supérieurs ont été des hommes. Je leur dois aussi beaucoup car ils m’ont toujours soutenue et m’ont permis de développer un potentiel. Je n’ai jamais ressenti de frein dans ma carrière relatif à cette question.

Le problème est un peu différent dans les conseils d’administration où les membres sont, en général, en majorité des hommes et, en tant que groupe, la dynamique devient différente, nous n’avons pas nécessairement la même approche. Mais, encore une fois, il s’agit plus d’une question d’individus, d’interaction entre des personnalités. La question du genre n’a pas vraiment de sens face à des compétences. Pour cela, en management, nous nous devons d’abord de bien nous connaître, de connaître nos propres points forts et nos faiblesses.

V. J. - Le Beau-Rivage Palace résonne toujours dans l’esprit comme une adresse féérique or, l’on parle désormais d’expérience et plus de séjour. Quelle serait, pour vous, la recette magique de cette « expérience » ?

N. S. - H. – Il est difficile de la décrire en quelques mots car c’est quelque chose qui se vit. Pour moi, il s’agit d’une somme de tout petits détails qui vont toucher le client et qui lui donnera envie de revenir. Une attention qui lui serait portée à titre personnel.  Par exemple, des clients sont au bar et manifestent qu’ils apprécient beaucoup l’ambiance olfactive des lieux. En toute discrétion, nous irons disposer en cadeau dans leur chambre la bougie qui diffuse cette ambiance, accompagnée d’un petit mot. Quand un moment devient magique, le personnel l’identifie et continue à le faire vivre ainsi pour le client.

V. J. - Quel est votre luxe personnel ?

N. S. - H. – Le temps serait la première chose. Avoir aussi du temps pour soi car dans notre métier nous donnons beaucoup de nous-mêmes car beaucoup passe par l’émotion. Lorsque l’on a une famille, qui plus est, on est tiraillée entre le plan personnel et le plan professionnel. Avoir quelques heures supplémentaires pour penser à soi est un vrai luxe ! Pour donner il faut déjà être bien soi-même. Ces instants qui me font du bien, je les trouve dans le sport, la contemplation des paysages pendant une promenade…

 

(Crédit photo : Beau-Rivage Palace)

 

 

 

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