21/08/2019

INTERVIEW : Justin Schmitt, chef exécutif du restaurant Laurent*

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Depuis plus de 150 ans, dans son cadre actuel imaginé par Jacques-Ignace Hittorff, écrin néo-classique doté d’un somptueux jardin, Le Laurent est le carrefour du Paris tour à tour noble, bouillonnant et mondain. Le précédent chef de cette institution étoilée, Alain Pégouret décidant de partir à l’aventure de son côté, pour lui succéder il fallait découvrir le filon de l’audace et d’une inspiration qui sachent tirer un trait d’union tout aussi personnel qu’exigeant entre gastronomie classique et une ouverture contemporaine graphique et percutante. Fort de ses nombreuses expériences auprès de quelques-uns de nos plus grands chefs et d’une vision artistique accentuée par de multiples talents, une constante recherche et une conscience aigüe du produit, Justin Schmitt arrive au Laurent en avril dernier. Il est accompagné, dans cette nouvelle aventure, par son adjoint de cuisine Piotr Glodkowski et sa pâtissière, Camille Mansouri, qui l’ont suivi du Crillon. Un sang neuf et déjà très remarqué sévi donc désormais au sein de l’institution Le Laurent. Avant de dévoiler une prochaine carte bien plus personnelle, le chef fait part à vendom.jobs de ses débuts avenue Gabriel, des étapes qui ont développé son identité culinaire et de quelques projets qui trottent dans la tête de ce grand créatif.

Vendom.jobs – Quels ont été vos débuts dans le monde de la cuisine ?

Justin Schmitt - J’ai commencé à vouloir faire ce métier dès l’âge de 12 ans.  Mon grand-père cultivait beaucoup de légumes, de fruits et m’a transmis cette passion. J’ai commencé à faire ma cuisine pour mes proches. J’ai alors décidé d’intégrer l’école Ferrandi. J’ai effectué mon premier apprentissage chez Gaya Rive Gauche. J’ai alors su très tôt que je voulais me diriger vers les étoilés, je suis donc allé chez Alain Senderens au Lucas Carton. J’ai beaucoup appris de son côté avant-gardiste. C’est aussi durant ces deux années d’apprentissage que j’ai rencontré Christopher Hache. Lorsque Alain Senderens a rendu ses étoiles, je suis parti chez Michel Guérard puis au Grand Véfour, à La Grande Cascade encore deux ans avant de rejoindre Christopher Hache au Bristol. Ces deux ans ont également beaucoup marqué mon identité culinaire par l’exigence, la rigueur d’Éric Fréchon et aussi la justesse de sa cuisine. Christopher m’a alors demandé de venir le seconder au Crillon. Nous avons très rapidement reçu la première étoile. Je suis passé chef adjoint aux Ambassadeurs avant la fermeture de l’hôtel. J’ai profité de cette longue pause pour acquérir diverses expériences. Je suis alors parti à Londres (Green House, Hibiscus, Clover Club à Shoreditch). Ayant appris que le Crillon rejoignait le groupe Rosewood, je suis parti travailler au Carlyle à New York puis aux Rosewood de Londres et Vancouver afin de me familiariser avec leurs hôtels. La réouverture du Crillon fut un projet de longue haleine. Durant deux ans, nous avons travaillé à imaginer le cadre, les concepts de restauration, à sourcer les producteurs, etc. Cette étape fut évidemment très formatrice pour moi. Les budgets importants qui étaient mis à notre disposition m’ont notamment permis de travailler avec une céramiste. J’ai dessiné les assiettes, conçu les portes couteau de la Brasserie d’Aumont dont j’ai pris la tête d’une brigade de 30 personnes, ce qui a considérablement enrichi mon expérience du management.

V. J. - Que vous ont apporté ces années de pérégrinations ?

J. S. - Etant une personne assez réservée, cela m’a ouvert. Le fait de devoir aller au contact des gens m’a beaucoup renforcé. J’y ai aussi certainement acquis une certaine sagesse. Culturellement, culinairement parlant, c’est en effet très enrichissant. Je me suis familiarisé avec de nouvelles techniques que j’introduis désormais dans mes créations. Je pense notamment à Sang-Hoon Degeimbre à L’Air du temps où j’ai pu m’approcher des techniques d’extraction, de fermentation, une cuisine très moderne tout en revenant aux sources, à la cueillette en forêt, etc. Tout comme mon expérience auprès de David Toutain a fait évoluer ma vision.

V. J. - En entrant dans une institution telle que Laurent, quelle était votre dynamique, vos envies, vos objectifs ?

J. S. - Malgré le niveau d’exigence de la Brasserie d’Aumont, je dois avouer que le côté gastronomique me manquait.  J’avais aussi envie de commencer à pouvoir m’exprimer librement, pouvoir présenter ma propre identité culinaire. Le travail de certains produits nobles me manquait également, les dressages recherchés, etc.

Grâce à Christopher Hache, qui m’a ouvert la voie, mon passage à la Brasserie d’Aumont m’a permis de me préparer à ma future place de chef exécutif. Durant mes années au Crillon, j’avais, en effet, décidé de rester à l’écoute de toutes les opportunités.

V. J. - Quels sont ces produits que vous appréciez travailler à nouveau au Laurent ?  

J. S. -  Le caviar, les ormeaux par exemple. Etant moins soumis à des questions de coût, je peux aller sourcer moi-même le meilleur produit, celui qui me semblera hors du commun. Nous avions fait, avant la réouverture du Crillon, un important travail de recherche des producteurs. J’en ai donc conservé certains dans mon réseau de fournisseurs et j’en ai découvert d’autres depuis.

V. J. - Qu’avez-vous décidé d’insuffler à la carte du Laurent qui vous est propre ?

J. S. -  Je suis arrivé sans passation dans une maison avec une histoire forte, des brigades importantes à gérer. Ma prise de fonction a eu lieu en avril, au moment de l’ouverture de la terrasse qui est l’une des plus belles de Paris, j’ai donc dû construire ma carte très rapidement et de façon intelligente. J’entends de façon à pouvoir mettre ma cuisine en avant mais sans prendre trop de risques… J’ai donc construit une première carte qui a beaucoup plu, les fidèles du Laurent ont été ravis.

Désormais, je travaille sur une nouvelle carte pour septembre où je vais plus me libérer, notamment sur l’aspect technique. Nous faisons une cuisine très haut de gamme avec des dressages élaborés, graphiques, colorés. Après trois mois dans la maison, je pense avoir le recul nécessaire pour faire des essais en vue de composer ma nouvelle carte. Nous allons la changer toutes les saisons. Les produits qui sont disponibles sur de courtes périodes sont introduits au fur et à mesure dans nos cartes notamment grâce à notre formule de midi (3 entrées et 2 plats) qui change tous les mois. Au Laurent, nous questionnons quotidiennement sur ce que nous devons maintenir à la carte ou ce que nous devons changer… Cette dynamique, nous la devons notamment aux habitués qui viennent plusieurs fois par semaine.

V. J. – Vous nous parliez de vos autres talents artistiques, envisagez-vous un nouveau projet qui mêlerait vos différentes passions au Laurent ?

J. S. - J’aime beaucoup, en effet, exprimer ma créativité à travers le travail de matériaux comme le cuivre. Je conçois des bougeoirs, des sculptures mais cela reste plus un hobby personnel. J’ai, par contre, une autre passion, la voile, et j’aimerais beaucoup allier ces deux plaisirs. Je nourris en effet un projet en rapport avec la cuisine et la navigation. Le principe étant que lorsque l’on est en mer, on fait la cuisine pour un équipage avec des moyens souvent très restreints.  L’idée serait de faire une cuisine qui garde son aspect simple et pratique en s’inspirant des produits que l’on trouve à chaque étape, sur les marchés des marinas.

V. J. – Comment définiriez-vous votre cuisine ? Que souhaiteriez-vous transmettre par vos créations ?

J. S. - J’estime que ma cuisine est intemporelle, je pars des acquis de mes apprentissages et différentes expériences qui sont, pour une large part, classiques. Je les retravaille en y apportant des techniques modernes, des assemblages un peu plus osés tout en conservant une cuisine lisible, fraîche, colorée.

Je ne suis pas certain de souhaiter transmettre un message par mes créations hormis celui du plaisir. J’apprécie d’aller en salle pour parler aux clients et écouter leur retour, c’est ce qui me fait avancer. De les voir heureux, de savoir qu’ils ont passé un bon moment est la plus belle des récompenses. Ensuite, en tant que cuisiniers nous devons être responsables, adopter des méthodes d’approvisionnement qui couvrent des périmètres raisonnables notamment, mais cela devient quasiment naturel de nos jours.

V. J. – Quand on est, comme vous, un chef responsable et engagé dans la durabilité, comment travaille-t-on en région parisienne sur l’acquisition des produits qui sont, de fait, moins directement à portée qu’en région ?

J. S. – Il n’existe pas tant de différences de nos jours. Nous travaillons évidemment beaucoup avec des fournisseurs de Rungis. Les Halles Mandar ont créé un partenariat avec Joël Thibault qui est basé à Douchy, dans le Loiret. Nous sommes donc quelques chefs à pouvoir avoir un accès direct aux légumes car il nous appelle tous les jours pour nous informer de ce qui sort de son potager. Je veille à aller voir mes fournisseurs, là c’est évidemment plus contraignant en matière de temps, de distance. L’approche est donc un peu différente, il est vrai. En région, nous sommes également moins pris dans une spirale. Ici, il faut avoir quotidiennement un train d’avance ce qui est, en définitive, pour moi très motivant. J’aime relever les défis, je transforme ce stress en énergie constructive.

V. J. – Un plat fétiche ?

J. S. – Les plats que les clients demandent régulièrement même s’ils sont sortis de la carte, deviennent, de fait, des plats signatures. Du Crillon j’en ai ramené trois – toutefois, je n’ai pas encore remis le pâté en croute qui a aussi fait la renommée de la brasserie : ma fraîcheur de tomate que j’ai modernisée, mon poulpe… En arrivant, j’ai pensé à créer un plat signature, pour me différencier, sans pour autant travailler pour en faire absolument un. En deux jours seulement, j’ai créé mon blanc-manger. J’avais déjà les idées, les goûts dans la tête. Il est devenu un peu ma pièce d’orfèvre. Il s’agit d’un blanc-manger à la langoustine, affiné avec du sarrazin, placé dessus, du caviar de Sologne, il est condimenté à la crème de pistache et zestes d’agrumes, des graines de sarrazin pour le côté craquant et un coulis de romaine.

 

Le Laurent 

41 avenue Gabriel
75008 Paris

Website

(Crédit photo : David Grimbert)

 

 

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