INTERVIEW : Jérôme Bugara, JWB

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Vendom.jobs poursuit sa découverte des personnalités portant le savoir-faire et l’exceptionnalité à la française en s’entretenant cette semaine avec Jérôme Bugara. Fondateur de la société JWB, il met sa connaissance totale des métiers de la décoration intérieure au service d’entrepreneurs et de particuliers. Concepteur, Maître d’Œuvre de quelques-uns des plus emblématiques restaurants, Hôtels Particuliers et boutiques de luxe de la capitale, Jérôme Bugara nous parle de ses projets, de ses motivations et de l’exigence de sa profession. Un métier de passion qui requiert de multiples talents et une inextinguible inspiration.

Jérome Bugara ©Frédéric Ducout

Vendom.jobs - Pourriez-vous nous retracer votre carrière et nous parler de votre société JWB ?

Jérôme Bugara – Dans la vie, je fonctionne en me fixant des buts et je progresse jusqu’à les atteindre. L’un de ceux-ci était d’intégrer l’École Boulle, ce que j’ai réalisé. Je suis parti directement après l’école pour travailler sur la technicité et la décoration des grands paquebots à Saint-Nazaire. Mon objectif était d’y acquérir une expérience du terrain, de la Maîtrise dOeuvre et aussi de la technique qui est très spécifique en raison de la torsion du métal dans l’architecture d’un bateau.

J’ai débuté dans une société associée au cabinet de Jean-Michel Wilmotte puis j’ai créé ma société fin 2010 qui était, au départ, uniquement consacrée à la Maîtrise d’Œuvre. J’exécutais les travaux et je mettais en œuvre les conceptions de designers tels que Elizabeth de Portzamparc, Tristan Auer ou Gulla Jonsdottir, décoratrice de talent basée à Los Angeles, etc. Entre ces projets, sont arrivées des demandes de conception en mon nom. Désormais, j’exécute plus de projets à mon nom même si je continue la Maîtrise d’Œuvre.

V. J. - Concepteur, Maître d’Œuvre ? Deux métiers différents ? Comment les abordez-vous dans vos différents projets ?

J. B. – Dans la maîtrise d’œuvre, l’objectif est d’intégrer la technique dans un design créé par un Architecte d’Intérieur et d’en respecter l’aspect esthétique. J’adore gérer des projets complexes en matière de technicité, être en recherche permanente des entreprises adéquates et d’en faire la synthèse tout en restant en bonne intelligence afin de respecter la conception du Designer. J’adapte la technicité sur la décoration, non l’inverse, ma tâche est de la rendre invisible. Tout doit donc être travaillé en amont et je pense que c’est ma force vis-à-vis des designers. Pendant 20 ans, j’ai travaillé en permanence sur des chantiers, ce qui m’a permis d’en intégrer les codes et le savoir-faire.

TRIPLEX PARIS
Client : Particulier | Date : 2019
Conception : Jérôme W. Bugara JWB 

Un exemple de défi technique que j’ai eu à relever. Nous travaillions sur un triplex quai d’Orsay, dans un immeuble classé des années 30 ; le dernier étage était une terrasse avec une vue panoramique. Le client souhaitait un système de fermeture pour se protéger ponctuellement du vent et du son. Sur l’architecture existante, nous avons monté des verres télescopiques de 3m de largeur, pour une hauteur de 2m 40, gérables grâce à une domotique. Cette solution permettait de respecter le cahier des charges des Bâtiments de France car nous ne dénaturions pas l’aspect de l’édifice, tout en répondant à la demande du client. Cela a, bien entendu, demandé d’importantes études techniques en collaboration avec des ingénieurs pour la structure de verre, car nous ne devions pas poinçonner l’étanchéité le bâtiment, mais aussi pour la domotique.

Ces projets demandent d’être en mesure d’effectuer la synthèse de différentes disciplines. Il est nécessaire d’avoir des connaissances en architecture mais aussi en administration afin de communiquer avec les architectes des Bâtiments de France et collaborer avec en vue d’adapter le projet. Mon métier est de trouver une harmonie entre l’existant et le projet.

V. J. – Ancien élève de Boulle, vous avez dû beaucoup travailler sur les matériaux dans votre cursus, avez-vous des affinités particulières avec certains ?

J. B. – En effet, et je dois dire qu’avant d’entrer à l’École, j’étais ébéniste puis j’ai fait des études d’arts plastiques. J’ai donc acquis un certain souci du détail et une connaissance des matériaux, particulièrement en boiserie – placage, essence, etc. - mais aussi en marbrerie. Connaître quelle densité est idéale pour un sol, un plan de travail, est un avantage pour aider les designers à optimiser leurs choix. D’autres fois, pour répondre à la demande d’un client, nous élaborons des solutions qui permettront de préserver l’aspect du matériau. J’ai ainsi réalisé un îlot central de 4,5m en marbre blanc statuaire, donc assez poreux. Le client a accepté que deux fois par an l’îlot soit recristallisé.

La connaissance des matériaux permet aussi de mieux communiquer avec les entreprises qui les fournissent.

HOTEL PARTICULIER NEUILLY C
Client : Particulier | Adresse : Neuilly sur Seine C | Date : 2017
Conception et Maitrise d'œuvre : Jérôme W. Bugara JWB | Photographie : Frédéric Ducout

V. J. – Y a-t-il des créateurs/entreprises avec lesquels vous travaillez actuellement régulièrement ? Si oui, lesquelles ?

J. B. – Concernant les créateurs, j’aime beaucoup travailler avec Gulla Jonsdottir qui a réalisé Le Grand Restaurant de Jean-François Piège. Je l’ai rencontrée au début du projet et nous avons communiqué à distance pendant toute la durée du chantier qui était un vrai défi car nous devions le mener à bien en trois mois. Elle a ensuite visité le restaurant pour son ouverture et fut absolument ravie du résultat qui respectait totalement son projet. Je dois dire que Jean- François Piège a été présent quotidiennement sur le chantier. La réussite d’un projet se fait à 80% grâce au client qui sait prendre les bonnes décisions au bon moment.

Gulla a également une société, GLD Art Consulting, qui recherche des artistes internationaux pour les présenter à leurs clients ou à d’autres designers. Ils me proposent toujours des artistes très intéressants pour mes conceptions. Nous cherchons à comprendre la sensibilité du client et nous trouvons les artistes qui pourraient y correspondre puis nous ciblons les œuvres qui pourraient l’intéresser. C’est assez inhabituel mais j’intègre les œuvres en amont du projet, en général c’est l’inverse qui est pratiqué.

Côté fournisseurs, je travaille beaucoup avec les établissements Maleville qui est une société de menuiserie d’art. Ils possèdent un atelier de 2000 m2 en plein cœur de Paris, dans le 7e arrondissement. Travaillant essentiellement dans le triangle d’or et Paris 7, cette proximité facilite beaucoup les choses, notamment en matière de réactivité.

LE GRAND RESTAURANT
Client : Jean-François Piège | Adresse : 7, rue d'Aguesseau, Paris 8 | Date : 2015
Conception : Gulla Jonsdottir G+Design | Maitrise d’Œuvre d’Exécution : Jérôme W. Bugara JWB  | Photographie : Khanh Renaud

V. J. – Pourriez-vous nous parler de votre collaboration avec J.-F. Piège ?

J. B. – Jean-François et Elodie Piège sont des personnalités très inspirantes. Nous avons collaboré jusqu’à présent sur quatre projets. Le premier était Clover, pour lequel j’étais maître d’œuvre sur une conception de Charlotte Biltgen. C’est un restaurant de seulement 22 couverts au style assez épuré. J’ai travaillé ensuite avec Gulla, toujours en maîtrise d’œuvre, pour Le Grand Restaurant. Puis, cette fois en design et exécution, j’ai travaillé au Clover Grill, déclinaison du Clover, un concept tout à fait exceptionnel ! Là, j’ai collaboré avec Elodie Piège en temps réel sur tout le déroulement du projet. Nous sommes restés pour le Grill dans un esprit bistronomique non contemporain. Le défi technique était la création de ce fameux grill à double extraction mais aussi la cave à maturation transparente. Toute la technicité est évidemment invisible. Pour cela il est primordial de tout étudier et préparer en amont pour l’intégrer au projet. Enfin, nous avons travaillé ensemble pour le Clover Shop.

V. J. – Vous appréciez de devoir vous inspirer des différentes contraintes liées à la fonction d’un lieu (appartement, restaurant, bateau, boutique) pour mieux les dépasser ou estimez- vous qu’il s’agisse chaque fois d’un nouveau challenge ?

J. B. – En réalité, tous les projets sont différents. Je ne m’enferme jamais dans un style. Je développe, conçois, en fonction des attentes du client. Ainsi, par exemple, je préfère avancer avec le client sur la partie matériaux et ensuite lui proposer des idées. Et puis, il y a toutes les parties cachées d’un projet, techniques mais aussi administratives : faire le lien avec la mairie et les architectes des Bâtiments de France – afin d’aider les designers étrangers parfois - demande beaucoup de temps, de rendez-vous et d’échanges. Le but est de satisfaire tout le monde.

LE GRAND RESTAURANT
Client : Jean-François Piège | Adresse : 7, rue d'Aguesseau, Paris 8 | Date : 2015
Conception : Gulla Jonsdottir G+Design | Maitrise d’Œuvre d’Exécution : Jérôme W. Bugara JWB  | Photographie : Khanh Renaud

V. J. – Quelles sont, en général, les points de départ de vos conceptions ?

J. B. – Je fais plusieurs réunions avec le client pour savoir sur quelle base partir. Nous proposons ensuite un avant-projet destiné à présenter des ambiances et mood board. Ensuite, nous déclinons plusieurs propositions de l’ambiance choisie par le client. Alors seulement, nous pouvons commencer à « figer » les choses. Ma longue expérience du terrain, ma connaissance des matériaux me permettent de respecter les plannings en y intégrant les délais des fournisseurs mais aussi de tout préparer suffisamment en amont afin qu’aucun changement ne bouleverse le calendrier établi.

V. J. – Vous travaillez souvent avec des clients étrangers, comment définiriez-vous l’approche du public vis-à-vis du design ? Sa façon de le vivre ?

J. B. – Les clients étrangers recherchent le « style français », une identité à la française. Ils insistent sur son raffinement et son souci du détail. Souvent, on s’adresse à moi pour voir jusqu’où je peux aller dans la précision des choses. Je me positionne sur du très haut de gamme pour avoir la chance d’utiliser des matériaux intéressants, de grands fournisseurs et être ainsi assez libre. S’il existe des restrictions en matière de coût, cela limite les possibilités. Je sais donc, qu’en-dessous d’un certain budget, la technicité et les matériaux en pâtiront et cela n’aura pas de sens pour moi. Pour respecter cette idée de raffinement « à la française », il faut des matériaux exceptionnels.

CLOVER GRILL
Client : Jean-François Piège | Adresse : Clover Grill - 6 Rue Bailleul, Paris 1 | Date : 2016
Maitre d’œuvre de Conception et d’Execution : Jérôme W. Bugara JWB | Photographe : Nicolas Lobbestael

V. J. – Un phénomène très en vogue, en raison des réseaux sociaux notamment, est de vouloir rendre un lieu, un restaurant, une boutique, aisément identifiable par son design. Rencontrez-vous ce genre de demande ? Qu’en pensez-vous ?

J. B. – Concernant les restaurants, j’ai essentiellement travaillé avec les chefs étoilés Jean-François Piège et Guy Savoy, ce dernier travaillant quasi exclusivement avec Jean-Michel Wilmotte. Les Chefs viennent souvent sur les salons pour découvrir les nouvelles tendances. Ils sont intéressés à donner une identité forte à leurs adresses car désormais l’environnement offert par le restaurant fait partie de la note des critiques. Je conçois tout à fait qu’un chef dans la lumière cherche à travailler avec un designer également dans la lumière. L’expérience proposée en restauration gastronomique va, de nos jours, au-delà de l’assiette. Les gens recherchent de plus en plus une expérience globale : manger quelque chose de magique dans un lieu magique, une satisfaction de tous les sens. Concernant les architectes star, je pense notamment à Tristan Auer car il possède un style bien identifiable qu’il sait transcender pour s’adapter. Pour moi, il est définitivement l’un des grands de demain.

V. J. – Quel est votre luxe personnel ?

J. B. – Je pense en avoir deux. J’ai déjà le luxe de faire ce que j’aime et uniquement avec des clients qui m’accordent leur confiance. Je peux choisir avec qui je vais travailler. Si je sens que le contact ne s’établit pas ou s’établit difficilement, que je vais être soumis à des restrictions en matière de coût, je ne poursuis pas le projet. J’ai donc le luxe de pouvoir choisir des projets qui me font vraiment vibrer. J’ai aussi la chance de travailler depuis quelques années avec mon épouse qui a rejoint la société ; je souhaiterais en faire une entreprise familiale. Nous sommes tous deux de vrais gourmets et mon second luxe est de pouvoir m’attabler chez des chefs étoilés incroyables, comme Jean-François Piège ou chez Christian Le Squer... Nous choisissons d’ailleurs nos destinations de voyage en fonction des grandes tables qu’elles offrent.

TRIPLEX PARIS
Client : Particulier | Date : 2019
Conception : Jérôme W. Bugara JWB 

http://www.jeromewbugara.fr/

 

(Couverture : HOTEL PARTICULIER NEUILLY C
Client : Particulier | Adresse : Neuilly sur Seine C | Date : 2017
Conception et Maitrise d'œuvre : Jérôme W. Bugara JWB | Photographie : Frédéric Ducout)

 

 

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